Retour à la mer.
Aujourd'hui, c’est la Terre qui est dominée par les hommes, mais bientôt, ce seront les abysses qui, jusqu'à présent, étaient préservées. De l'exploration des fonds marins à leur exploitation minière, ce n’est qu’une question de temps et d'opportunité économique. Pourtant, alors que les océans nous protègent contre le changement climatique, ne devrait-on pas les préserver plutôt que les exploiter ? (1)
Les plaines abyssales couvrent plus de la moitié de la planète, mais restent encore largement inexplorées par l’humanité, qui en sait plus sur la Lune ou sur Mars que sur elles. Ces profondeurs sans lumière, à plus de 3.000 mètres, étaient autrefois considérées comme un véritable désert sous-marin, mais l’intérêt croissant pour l’exploitation minière a poussé les scientifiques à en explorer la biodiversité, en grande partie ces dix dernières années.
"Dans les années 1960 et 1970, lorsque les chercheurs ont pris conscience de l’étendue des richesses minérales de l’océan, la question de savoir qui avait droit à ces ressources est devenue idéologique. Les pays riches comme les États-Unis voulaient opérer selon le principe du premier arrivé, premier servi, tandis que la Chine, pays en développement, s’est rangée du côté des pays du Sud et a déclaré que le butin devait être partagé. La Chine a gagné et la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS), adoptée en 1982, a été ratifiée par la plupart des pays. Les États-Unis reconnaissent la convention mais ne l’ont pas ratifiée, en partie parce qu’ils s’opposent à ses dispositions sur l’exploitation minière des fonds marins.
La Chine compte aujourd’hui au moins 12 institutions dédiées à la recherche en eaux profondes – l’une d’entre elles, un campus tentaculaire situé à Wuxi, dans la province de Jiangsu, prévoit d’embaucher 4.000 personnes d’ici à 2025. Des dizaines d’établissements d’enseignement supérieur ont vu le jour pour se consacrer aux sciences de la mer. Dans un discours prononcé en 2016, Xi Jinping a parlé de l’accès aux « trésors » de l’océan et a ordonné à son pays de « maîtriser les technologies clés pour pénétrer dans les profondeurs de la mer »." Washington Post
Une ville flottante contre la montée des eaux
À Busan, en Corée du Sud, une start-up ambitieuse du nom d'Oceanix, soutenue par l'ONU-Habitat, conçoit des cités flottantes pour faire face aux futurs défis du logement dans les villes côtières menacées par la montée des eaux. Entièrement modulable et autonome, cette ville flottante est capable de résister à tout type de catastrophe naturelle (inondations, tsunamis et ouragans de catégorie 5). Le concept s’articule autour de plateformes hexagonales de 20 000 mètres carrés pouvant accueillir chacune 300 résidents. Un des principaux matériaux de ces plateformes absorbe les minéraux de l'eau de mer pour former un revêtement de calcaire résistant et durable. L’installation de stations de filtrage de l’eau et d’épuration des eaux usées est également prévue. La ville sera en outre capable de produire sa propre énergie et sa propre nourriture, avec par exemple des cages sous les plateformes où seront cultivées des algues ou des pétoncles. Les bâtiments, entièrement démontables, seront eux aussi construits avec des matériaux durables comme le bambou ou le bois, et limités en hauteur pour ne pas déstabiliser la plateforme.
Selon Itai Madamombe, cofondatrice d’Oceanix, la société à l’origine du projet : "C’est inévitable. Un jour, beaucoup de gens devront vivre sur l’eau.". Actuellement, 40 % de la population mondiale réside à moins de 100 kilomètres d'une côte menacée par la montée inexorable des eaux. "Une option est de déplacer les habitants vers l’intérieur des terres. Une autre option, moins évidente, consiste à les déplacer au large, sur une ville flottante.", ajoute-t-elle.
Apprendre à vivre à la surface des eaux
Reste à savoir si les villes côtières et les nations insulaires en première ligne face au changement climatique favoriseront le développement d'habitats flottants. Cependant, à mesure que le niveau des mers continuera de monter, l'humanité devra s'adapter à cette nouvelle réalité. Des communautés vivant sur l'eau pourraient aider à réduire la pression migratoire vers l'intérieur des terres. Pour ce peuple côtier, la mer ne serait pas une zone à coloniser, mais un nouvel habitat potentiellement protecteur, un refuge offrant des opportunités de travail et de logement, ainsi que des possibilités de cultiver les vastes étendues marines.
Bien que cela puisse sembler irréaliste actuellement, la prochaine étape d'adaptation à la montée du niveau des mers pourrait impliquer le développement de capacités améliorées en plongée et en apnée prolongée, une plus grande résistance aux conditions marines, ainsi que des ajustements métaboliques. Des recherches sont actuellement menées pour améliorer les équipements, telles que le développement de branchies artificielles et de combinaisons de plongée en polymère, mais ces avancées sont encore loin de permettre une symbiose avec le monde sous-marin.
Allonger la durée des sessions de plongée peut être envisageable, mais nous ne sommes pas faits pour rester sous l’eau indéfiniment comme les poissons. Nous n’y sommes pas préparés, car notre corps n’est pas adapté au milieu sous-marin. Une immersion prolongée peut entraîner une altération des capacités cognitives et de la dextérité, et le risque d’hypothermie est constamment présent. Le véritable homme-poisson n’existera peut-être jamais vraiment. (2)
Plusieurs défis majeurs l'entravent : la respiration sous l'eau nécessiterait des branchies, la pression hydrostatique exige des adaptations majeures de la cage thoracique, la thermorégulation est problématique en milieu aquatique, la flottabilité humaine requiert des modifications squelettiques et musculaires, et la reproduction en milieu marin soulève de nombreuses difficultés.
Concevoir des branchies adaptées à la morphologie de notre espèce semble difficilement réalisable dans un futur proche. Rivaliser avec des millions d’années d’évolution ne se fait pas en quelques décennies. (2)
Apprendre à survivre aux grandes profondeurs
Peter Watts est un ancien biologiste marin et désormais auteur de science-fiction. Son roman Vision aveugle est une des références en matière de premier contact extraterrestre. Il est également l'auteur de la trilogie Rifteurs, dans laquelle est réalisée l'adaptation biotechnologique de l'homme à la mer, principalement via la greffe d'un respirateur artificiel en remplacement du poumon gauche.
"Son roman met en effet en scène une équipe placée dans une station de production d’énergie géothermique située sur une dorsale océanique, par trois kilomètres de fond : une installation indispensable, à la fin de la décennie 2040, au maintien de l’approvisionnement en électricité d’une Amérique du Nord livrée au contrôle des Corporations. Le lecteur découvrira rapidement que cette équipe (les rifteurs du titre de la trilogie), formée de gens adaptés, grâce à la cybernétique et aux manipulations génétiques, aux grandes profondeurs, a été choisie en fonction de deux types de profils psychologiques très particuliers, et censés leur permettre de fonctionner dans un environnement horriblement oppressant." (3)
Équipés en branchies artificielles capables de les faire respirer dans l'eau sous haute pression, les rifteurs sont protégés par des calottes oculaires et des combinaisons sophistiquées de plongée ; par ailleurs, des altérations génétiques leur permettent d'accoutumer leur vision à l'obscurité. À chacune de leurs sorties abyssales, souvent au milieu de monstres marins voraces, leurs implants libèrent des neuro-inhibiteurs dans leurs organismes. Ils peuvent aussi boire de l'eau de mer grâce à leurs implants.
"Ballard détache sa combinaison jusqu’à la taille. Juste sous son sein gauche, la prise de l’électrolyseur saille entre ses côtes. Clarke observe vaguement le disque perforé dans la chair de Ballard. C’est par là que l’océan entre en nous, pense-t-elle. Elle le sait depuis longtemps, mais pour une raison quelconque, ce fait semble revêtir une nouvelle signification. On l’aspire en nous, on lui vole son oxygène et on le recrache." Extrait de Starfish - trilogie Rifteurs
L'adaptation humaine à la vie aquatique : de la réalité à la fiction
Dans le monde réel, des scientifiques ont déjà identifié une adaptation génétique chez le peuple Bajau en Indonésie, connu comme les "nomades de la mer", qui plonge jusqu'à 70 mètres de profondeur sans équipement sophistiqué. Une étude a révélé que la rate des Bajau est 50% plus grande que celle d'un groupe non plongeur. Des analyses génétiques ont identifié des différences significatives, notamment sur le gène PDE10A, lié à la régulation de l'hormone thyroïdienne influençant la taille de la rate. Cette adaptation pourrait expliquer leur capacité à retenir leur souffle plus longtemps. Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires, cette découverte pourrait contribuer à la compréhension des réponses du corps au manque d'oxygène dans divers contextes médicaux, de la plongée à d'autres situations stressantes. (4)
Revenons au contexte de la fiction, où comme le souligne James Cameron, "Avatar célèbre notre capacité, en tant que créatures hautement adaptatives, à évoluer dans des environnements différents." Dans le second opus « La voie de l'eau », le réalisateur nous ramène sur la lune Pandora afin d'y découvrir le peuple Metkayina, un clan qui s’étend sur un grand nombre de villages. Les Metkayina forment une sorte de culture native régionale : il y a probablement des dizaines de milliers d’années, ils ont divergé des Na’vis, qui vivent dans les forêts terrestres, et se sont adaptés physiquement pour vivre dans l’océan. Ils se servent de leur queue comme moyen de propulsion pour nager, tout comme les phoques et les loutres. Ils respirent de l’air et ont donc évolué pour pouvoir retenir leur souffle pendant de longues périodes. Ils ont des membranes nictitantes, un peu comme les crocodiles et les hiboux, pour protéger leurs yeux. (5)
Respirer sous l’eau, tel un poisson, qui n’en a pas un jour rêvé ? Au lieu de devoir retenir sa respiration, ou de transporter de lourdes bouteilles d’air comprimé, il deviendrait possible d’explorer le monde sous-marin sans contraintes.
"Respirer dans l'eau à l'aide de branchies ? L'embryon humain présente, à la quatrième et à la cinquième semaine, des arcs branchiaux qui donneraient des poches et des fentes branchiales. Ces fentes avaient déjà été observées par les embryologistes du XIXe siècle, qui y voyaient une trace d'un ancien stade « poisson ». Hélas, ces arcs branchiaux se résorbent au cours de l'embryogenèse. Suffirait-il alors d'inhiber le gène à l'origine de cette régression pour conserver les branchies ? C'est loin d'être aussi simple. Une cascade complexe de gènes, et non un gène unique, intervient dans le processus : modifier un élément chamboulerait l'ensemble de la chaîne... Si certains états de caractères morphologiques sont réversibles au cours de l'évolution, ce n'est pas le cas de complexes anatomiques entiers." [En raison de cette complexité génétique, la perspective de conserver des branchies chez les humains demeure peu réaliste.] (6)
Plus rapidement que les créatures qui ont quitté les océans pour s'aventurer sur la terre ferme il y a environ 360 millions d'années pendant le Dévonien, il reste néanmoins possible d'envisager (grâce à la science-fiction) un parcours inverse pour les humains adaptés biologiquement. Cette démarche serait singulière, car il n'y a pas d'exemples dans l'histoire de la vie sur Terre où des organismes retournent complètement à leur environnement d'origine. On observe plutôt des cas où des organismes ont évolué pour s'adapter à des environnements spécifiques, puis sont retournés, au moins partiellement, à leur milieu d'origine. Un exemple concret est fourni par les ancêtres des baleines, qui étaient à l'origine des mammifères terrestres et qui, au fil de l'évolution, sont devenus des créatures adaptées à la vie marine. Cette transition est souvent citée comme un exemple emblématique de l'évolution.
Dans "La Terre bleue de nos souvenirs" d'A. Reynolds, une partie de l'humanité du XXIIe siècle a choisi de vivre sous l'eau dans des habitats sous-marins. Pour s'adapter à cet environnement, ils ont subi des modifications génétiques qui leur permettent de respirer sous l'eau et de résister à la pression ambiante. Ces "aquatiques" ont grandi dans ces bulles sous-marines et sont capables de nager et de respirer comme des poissons.
"Certains avaient une forme aquatique complète, mais d’autres conservaient une base anatomique de terrien, avec tous leurs membres. Une immersion prolongée ne semblait poser aucun problème à certains de ces cas limites, mais d’autres portaient toutes sortes de respirateurs légers. D’après ce que Geoffrey avait compris, le procédé complet d’aqua-transformation ne se faisait pas en un jour ; ce parcours comportait plusieurs étapes, et tout le monde ne choisissait pas de continuer les opérations chirurgicales après avoir reçu les modifications basiques." Extrait du livre.
D'après notre compréhension, le procédé de bio-ingénierie permettrait de choisir parmi une gamme d'aqua-transformations physiques :
- Une adaptation "basique" qui faciliterait l'évolution temporaire dans l'eau avec l'aide d'un respirateur, sur le principe des respirateurs Jedi de la saga Star Wars, qui sont équipés de petits cylindres de gaz respirable.
- Une adaptation "mixte" qui autoriserait l'évolution dans les milieux terrestre et aquatique.
"Une solution serait alors d'être muni à la fois de branchies et de poumons, comme cela s'est déjà produit au cours de l'évolution : si beaucoup d'amphibiens, au cours de leur développement, respirent par des branchies puis par des poumons, les polyptères et les dipneustes sont deux groupes de « poissons » qui jouissent des deux systèmes à la fois !" (7)
- Une adaptation "totale" qui favoriserait l'adaptation au seul milieu aquatique.
"Il restait la question de savoir si elle était née baleine ou si elle avait obtenu cette apparence à coups de génétique postnatale et d’interventions chirurgicales. [...] Il n’avait jamais rien vu comme elle, nulle part dans toute la création. Une baleine avec une intelligence humaine, ou une personne transformée en cétacé. Il ne savait pas très bien ce qui était le plus miraculeux." Extrait du livre.
Sources :
(1) In :
(2) In : Respirer sous l’eau, un rêve impossible ?
Les branchies des poissons jouent un rôle similaire à celui des poumons chez les animaux terrestres, mais elles sont adaptées à l'environnement aquatique. Elles permettent aux poissons de respirer en extrayant l'oxygène dissous dans l'eau et en éliminant le dioxyde de carbone. L'eau, étant plus dense et plus visqueuse que l'air, présente des défis particuliers pour l'échange de gaz ; les branchies sont spécialement conçues pour maximiser l'efficacité de ce processus, avec des lamelles branchiales fournissant une grande surface pour l'échange de gaz, augmentant ainsi la capacité d'absorption de l'oxygène. Elles permettent également aux poissons de maintenir un équilibre entre la concentration d'oxygène dans l'eau et celle dans leur sang, même lorsque la concentration d'oxygène dans l'eau est relativement faible.
Chez les poissons, les branchies sont des organes situés sur les côtés de la tête, composés d’une multitudes de petits vaisseaux sanguins appelés capillaires. Quand le poisson ouvre sa bouche, l’eau passe sur les branchies, et le sang contenu dans les capillaires extrait l’oxygène présent dans l’eau pour le distribuer au sein du corps de la créature. Reproduire ce résultat artificiellement est très complexe, car l’eau a une concentration en oxygène 25 000 à 50 000 fois inférieure à l’air que nous respirons. Les branchies animales se distinguent donc par leur efficacité à extraire cet oxygène si précieux.
S’il serait théoriquement possible de faire respirer un homme sous l’eau avec l’oxygène qu’elle contient, la quantité d’oxygène nécessaire est trop importante pour que la respiration d’un homme suffise à la pomper. [...] Nous aurions besoin de filtrer 10 litres d’eau par seconde pour rester en vie, sans bouger. Pour se passer de pompes mécaniques, il faudrait avoir des branchies avec une surface de 60m², et nager constamment à une vitesse de 20 centimètres par secondes. Autant dire que le système ne serait pas vraiment portable.
(3) In : Une sélection d'articles pour en savoir plus sur la trilogie Rifteurs :
Un auteur exigeant avec ses lecteurs. Il a été interrogé lors du symposium Réalités de la science-fiction.
(4) In : https://www.geo.fr/environnement/premiere-preuve-d-une-adaptation-genetique-a-la-plongee-187835
(5) In : Avatar : James Cameron nous explique la réalité scientifique qui a inspiré le monde aquatique de Pandora
(6) In : Article payant paru dans Pour la Science N°447 - Janvier 2015
https://www.pourlascience.fr/sd/biologie/respirer-comme-un-poisson-dans-laposeau-8243.php
(7) In : Au commencement était le poisson: l'homme : 3,5 milliards d'années d'évolution - Neil Shubin - R. Laffont, 2009 - 243 pages
C'est à un voyage fantastique de centaines de millions d'années que nous convie le paléontologue Neil Shubin. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, nos mains furent autrefois des nageoires de poisson et notre génome est extrêmement proche de celui que possèdent les bactéries apparues il y a trois milliards et demi d'années! Le 31 mars 2006, Neil Shubin et son équipe ont fini par découvrir au-delà du cercle arctique, un animal primitif vieux de trois cent soixante-quinze millions d'années, sorte de croisement entre un poisson et un alligator. Baptisé Tiktaalik ("grand poisson des basses eaux"), ce fossile très étonnant est une sorte de chaînon manquant entre les poissons et les amphibiens. Non seulement l'animal avait des nageoires mais aussi des poignets et des doigts lui permettant de se soulever. Ce poisson très spécial nous montre donc comment les êtres vivants ont pu finir par sortir des eaux et conquérir la terre ferme.
Les océans cachés
Les mesures effectuées par plusieurs sondes spatiales ont révélé que les océans de la Terre ne seraient plus les seuls de notre système solaire.
« Nos mains ont cinq doigts comme les pattes des lézards, nos yeux, dont le cristallin est analogue à celui des animaux marins, rappellent nos origines aquatiques, comme notre oreille interne dont les os sont déjà présents, affectés à d'autres tâches, chez les poissons. La kératine de nos cheveux est une adaptation à la sécheresse qui date de la sortie des eaux des amphibiens, de même que le nez, bien plus développé que chez les grands singes, est une adaptation aux savanes poussiéreuses qu'arpentait notre ancêtre australopithèque il y a quelques millions d'années. » Alain Froment