Après-demain, le monde bleu.

Si toute la glace actuellement emprisonnée dans les glaciers et les calottes de la planète venait à fondre, le niveau des océans s’élèverait de 65 mètres. Il y a plus de vingt millions de kilomètres cubes de glace sur Terre, et certains scientifiques affirment qu’il faudrait plus de 5 000 ans pour qu’elle fonde dans son intégralité. Face à la montée progressive des océans, l'adaptation humaine à la vie sous-marine pourrait devenir une voie envisageable : développement de l'apnée prolongée, résistance accrue aux conditions marines, ajustements métaboliques.
Bien que des recherches soient en cours pour perfectionner les équipements — branchies artificielles, combinaisons en polymère — ces technologies restent encore loin d'offrir une véritable symbiose avec le milieu sous-marin. Allonger la durée des sessions de plongée est envisageable, mais nous ne sommes pas conçus pour vivre sous l'eau comme les poissons. Notre corps n'est pas adapté à un environnement immergé : une immersion prolongée altère les capacités cognitives et la dextérité, et l'hypothermie demeure un risque constant. "Le véritable homme-poisson n'existera peut-être jamais." (1)
Respirer sous l'eau impliquerait le développement de branchies artificielles adaptées à notre morphologie. La pression hydrostatique exigerait une transformation complète de la cage thoracique. La thermorégulation en milieu aquatique, tout comme la flottabilité naturelle du corps humain, poserait des défis majeurs, nécessitant des ajustements osseux et musculaires. Quant à la reproduction en milieu marin, elle soulève encore des obstacles biologiques considérables. "Rivaliser avec des millions d'années d'évolution ne se fait pas en quelques décennies." (1)
Des humains augmentés
Peter Watts est un ancien biologiste marin et désormais auteur de science-fiction. Son roman Vision aveugle est une des références en matière de premier contact extraterrestre. Il est également l'auteur de la trilogie Rifteurs, dans laquelle est réalisée l'adaptation biotechnologique de l'homme à l'océan, principalement via la greffe d'un respirateur artificiel en remplacement du poumon gauche.
"Son roman met en effet en scène une équipe placée dans une station de production d’énergie géothermique située sur une dorsale océanique, par trois kilomètres de fond : une installation indispensable, à la fin de la décennie 2040, au maintien de l’approvisionnement en électricité d’une Amérique du Nord livrée au contrôle des Corporations. Le lecteur découvrira rapidement que cette équipe (les rifteurs du titre de la trilogie), formée de gens adaptés, grâce à la cybernétique et aux manipulations génétiques, aux grandes profondeurs, a été choisie en fonction de deux types de profils psychologiques très particuliers, et censés leur permettre de fonctionner dans un environnement horriblement oppressant." (2)
Équipés en branchies artificielles capables de les faire respirer dans l'eau sous haute pression, les rifteurs sont protégés par des calottes oculaires et des combinaisons sophistiquées de plongée ; par ailleurs, des altérations génétiques leur permettent d'accoutumer leur vision à l'obscurité. À chacune de leurs sorties abyssales, souvent au milieu de monstres marins voraces, leurs implants libèrent des neuro-inhibiteurs dans leurs organismes. Ils peuvent aussi boire de l'eau de mer grâce à leurs implants.
"Ballard détache sa combinaison jusqu’à la taille. Juste sous son sein gauche, la prise de l’électrolyseur saille entre ses côtes. Clarke observe vaguement le disque perforé dans la chair de Ballard. C’est par là que l’océan entre en nous, pense-t-elle. Elle le sait depuis longtemps, mais pour une raison quelconque, ce fait semble revêtir une nouvelle signification. On l’aspire en nous, on lui vole son oxygène et on le recrache." Extrait de Starfish - trilogie Rifteurs
De la réalité à la SF
Dans le monde réel, des scientifiques ont déjà identifié une adaptation génétique chez le peuple Bajau en Indonésie, connu comme les "nomades de la mer", qui plonge jusqu'à 70 mètres de profondeur sans équipement sophistiqué. Une étude a révélé que la rate des Bajau est 50% plus grande que celle d'un groupe non plongeur. Des analyses génétiques ont identifié des différences significatives, notamment sur le gène PDE10A, lié à la régulation de l'hormone thyroïdienne influençant la taille de la rate. Cette adaptation pourrait expliquer leur capacité à retenir leur souffle plus longtemps. Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires, cette découverte pourrait ouvrir de nouvelles perspectives, non seulement en plongée libre, mais aussi dans certains contextes médicaux liés à l’hypoxie. (3)
Autre exemple. Depuis des siècles, les Haenyeo, « femmes de la mer » de l’île de Jeju en Corée du Sud, plongent sans oxygène dans des eaux glacées pour récolter des produits marins. Leur culture, matriarcale et inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco, remonte au XVIIe siècle. Une étude publiée en mai 2025 a révélé que leur incroyable résistance n’est pas uniquement due à leur entraînement, mais aussi à des particularités génétiques. Deux variantes spécifiques leur confèrent une meilleure tolérance au froid et une protection cardiovasculaire, notamment sous pression. Les tests physiologiques ont aussi montré un ralentissement cardiaque important lors des plongées, preuve d’une adaptation au manque d’oxygène, acquise principalement par des années de pratique. Avec moins de 5 000 Haenyeo actives aujourd’hui, ce savoir ancestral est en voie de disparition. (4)
Revenons aux mondes de la science-fiction où, comme le souligne James Cameron, Avatar « célèbre notre capacité, en tant que créatures hautement adaptatives, à évoluer dans des environnements différents ». Dans le second opus, La Voie de l’eau, le réalisateur nous ramène sur la lune Pandora pour y découvrir le peuple Metkayina, un clan réparti sur un ensemble de villages côtiers. Les Metkayina incarnent une culture native régionale : il y a probablement des dizaines de milliers d’années, ils ont divergé des Na’vis des forêts et se sont physiquement adaptés à la vie océanique. Leur queue leur sert de moyen de propulsion, à la manière des phoques ou des loutres. Bien qu’ils respirent de l’air, ils ont développé une capacité remarquable à retenir leur souffle sur de longues durées. Leurs yeux sont protégés par des membranes nictitantes, semblables à celles des crocodiles ou des hiboux. (5)
Respirer dans l'eau : un rêve irréalisable ?
Respirer dans l’eau, tel un poisson, qui n’en a pas un jour rêvé ? Les humains et leurs ancêtres ont perdu depuis longtemps cette capacité. Plutôt que de retenir son souffle ou de s’encombrer de lourdes bouteilles d’air comprimé, comment pourrions-nous retourner vivre un jour en milieu aquatique ?
"Respirer dans l'eau à l'aide de branchies ? L'embryon humain présente, à la quatrième et à la cinquième semaine, des arcs branchiaux qui donneraient des poches et des fentes branchiales. Ces fentes avaient déjà été observées par les embryologistes du XIXe siècle, qui y voyaient une trace d'un ancien stade « poisson ». Hélas, ces arcs branchiaux se résorbent au cours de l'embryogenèse. Suffirait-il alors d'inhiber le gène à l'origine de cette régression pour conserver les branchies ? C'est loin d'être aussi simple. Une cascade complexe de gènes, et non un gène unique, intervient dans le processus : modifier un élément chamboulerait l'ensemble de la chaîne... Si certains états de caractères morphologiques sont réversibles au cours de l'évolution, ce n'est pas le cas de complexes anatomiques entiers." [En raison de cette complexité génétique, la perspective de conserver des branchies chez les humains demeure peu réaliste.] (6)
Contrairement aux créatures qui ont quitté les océans pour conquérir la terre ferme il y a environ 360 millions d’années, à l’époque du Dévonien, on peut imaginer — grâce à la science-fiction — un scénario inverse : celui d’humains biologiquement modifiés pour vivre en milieu aquatique. Une telle évolution serait inédite, car l’histoire du vivant ne connaît pas de cas où une espèce retourne totalement à son environnement d’origine. En général, certaines espèces évoluent pour s’adapter à de nouveaux milieux, puis y reviennent partiellement. Les baleines en sont un exemple marquant : descendantes de mammifères terrestres, elles ont progressivement réintégré l’océan, jusqu’à devenir parfaitement adaptées à la vie marine.
Une hypothèse pour après-demain ?
Dans La Terre bleue de nos souvenirs d'Alastair Reynolds, une partie de l'humanité du XXIIe siècle a choisi de vivre sous l'eau dans des habitats sous-marins. Pour s'adapter à cet environnement, ils ont subi des modifications génétiques qui leur permettent de respirer sous l'eau et de résister à la pression ambiante. Ces "aquatiques" ont grandi dans ces bulles sous-marines et sont capables de nager et de respirer comme des poissons.
"Certains avaient une forme aquatique complète, mais d’autres conservaient une base anatomique de terrien, avec tous leurs membres. Une immersion prolongée ne semblait poser aucun problème à certains de ces cas limites, mais d’autres portaient toutes sortes de respirateurs légers. D’après ce que Geoffrey avait compris, le procédé complet d’aqua-transformation ne se faisait pas en un jour ; ce parcours comportait plusieurs étapes, et tout le monde ne choisissait pas de continuer les opérations chirurgicales après avoir reçu les modifications basiques." Extrait du livre d'A. Reynolds.
D'après notre compréhension, la bio-ingénierie du XXIIe siècle offrirait la possibilité de choisir différents modes d'adaptation physique :
- Un mode "basique" qui faciliterait l'évolution temporaire dans l'eau avec l'aide d'un respirateur, sur le principe des respirateurs Jedi de la saga Star Wars, qui sont équipés de petits cylindres de gaz respirable.
- Un mode "mixte" qui autoriserait l'évolution dans les milieux terrestre et aquatique.
"Une solution serait alors d'être muni à la fois de branchies et de poumons, comme cela s'est déjà produit au cours de l'évolution : si beaucoup d'amphibiens, au cours de leur développement, respirent par des branchies puis par des poumons, les polyptères et les dipneustes sont deux groupes de « poissons » qui jouissent des deux systèmes à la fois !" (7)
- Un mode "total" qui privilégierait le seul milieu aquatique.
"Il restait la question de savoir si elle était née baleine ou si elle avait obtenu cette apparence à coups de génétique postnatale et d’interventions chirurgicales. [...] Il n’avait jamais rien vu comme elle, nulle part dans toute la création. Une baleine avec une intelligence humaine, ou une personne transformée en cétacé. Il ne savait pas très bien ce qui était le plus miraculeux." Extrait du livre d'A. Reynolds.
Sources :
(1) In : Respirer sous l’eau, un rêve impossible ?

Les branchies des poissons jouent un rôle similaire à celui des poumons chez les animaux terrestres, mais elles sont adaptées à l'environnement aquatique. Elles permettent aux poissons de respirer en extrayant l'oxygène dissous dans l'eau et en éliminant le dioxyde de carbone. L'eau, étant plus dense et plus visqueuse que l'air, présente des défis particuliers pour l'échange de gaz ; les branchies sont spécialement conçues pour maximiser l'efficacité de ce processus, avec des lamelles branchiales fournissant une grande surface pour l'échange de gaz, augmentant ainsi la capacité d'absorption de l'oxygène. Elles permettent également aux poissons de maintenir un équilibre entre la concentration d'oxygène dans l'eau et celle dans leur sang, même lorsque la concentration d'oxygène dans l'eau est relativement faible.
Chez les poissons, les branchies sont des organes situés sur les côtés de la tête, composés d’une multitudes de petits vaisseaux sanguins appelés capillaires. Quand le poisson ouvre sa bouche, l’eau passe sur les branchies, et le sang contenu dans les capillaires extrait l’oxygène présent dans l’eau pour le distribuer au sein du corps de la créature. Reproduire ce résultat artificiellement est très complexe, car l’eau a une concentration en oxygène 25 000 à 50 000 fois inférieure à l’air que nous respirons. Les branchies animales se distinguent donc par leur efficacité à extraire cet oxygène si précieux.
S’il serait théoriquement possible de faire respirer un homme sous l’eau avec l’oxygène qu’elle contient, la quantité d’oxygène nécessaire est trop importante pour que la respiration d’un homme suffise à la pomper. [...] Nous aurions besoin de filtrer 10 litres d’eau par seconde pour rester en vie, sans bouger. Pour se passer de pompes mécaniques, il faudrait avoir des branchies avec une surface de 60m², et nager constamment à une vitesse de 20 centimètres par secondes. Autant dire que le système ne serait pas vraiment portable.
(2) In : Une sélection d'articles pour en savoir plus sur la trilogie Rifteurs :

Un auteur exigeant avec ses lecteurs. Il a été interrogé lors du symposium Réalités de la science-fiction.
(3) In : https://www.geo.fr/environnement/premiere-preuve-d-une-adaptation-genetique-a-la-plongee-187835
(5) In : Avatar : James Cameron nous explique la réalité scientifique qui a inspiré le monde aquatique de Pandora


(6) In : Article payant paru dans Pour la Science N°447 - 19 décembre 2014 - Jean-Sébastien Steyer et Roland Lehoucq
https://www.pourlascience.fr/sd/biologie/respirer-comme-un-poisson-dans-laposeau-8243.php
(7) In : Au commencement était le poisson: l'homme : 3,5 milliards d'années d'évolution - Neil Shubin - R. Laffont, 2009 - 243 pages
C'est à un voyage fantastique de centaines de millions d'années que nous convie le paléontologue Neil Shubin. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, nos mains furent autrefois des nageoires de poisson et notre génome est extrêmement proche de celui que possèdent les bactéries apparues il y a trois milliards et demi d'années! Le 31 mars 2006, Neil Shubin et son équipe ont fini par découvrir au-delà du cercle arctique, un animal primitif vieux de trois cent soixante-quinze millions d'années, sorte de croisement entre un poisson et un alligator. Baptisé Tiktaalik ("grand poisson des basses eaux"), ce fossile très étonnant est une sorte de chaînon manquant entre les poissons et les amphibiens. Non seulement l'animal avait des nageoires mais aussi des poignets et des doigts lui permettant de se soulever. Ce poisson très spécial nous montre donc comment les êtres vivants ont pu finir par sortir des eaux et conquérir la terre ferme.
Point de vue :

Point de vue
« Nos mains ont cinq doigts comme les pattes des lézards, nos yeux, dont le cristallin est analogue à celui des animaux marins, rappellent nos origines aquatiques, comme notre oreille interne dont les os sont déjà présents, affectés à d'autres tâches, chez les poissons. La kératine de nos cheveux est une adaptation à la sécheresse qui date de la sortie des eaux des amphibiens, de même que le nez, bien plus développé que chez les grands singes, est une adaptation aux savanes poussiéreuses qu'arpentait notre ancêtre australopithèque il y a quelques millions d'années. » Alain Froment