Introduction

Introduction
@ Red Team Défense

Avec l'âge d'or de la science-fiction au milieu du XXe siècle, et jusqu'à aujourd'hui, des milliers de fictions littéraires, de films et de séries ont vu le jour, anticipant dès les années 1970 et 1980 des innovations qui se réalisent dans le monde actuel. Une tablette numérique entrevue dans une scène du film 2001 : l'Odyssée de l'espace a permis à Samsung de défier Apple en prétendant que ce dernier n'était pas l'inventeur de l'iPad. Dans le film Her de Spike Jonze (2013), l'IA à la voix féminine dont le héros tombe amoureux annonçait de façon très réaliste l'arrivée de ChatGPT et la fascination qu'exercent ces interlocuteurs virtuels : des "sachants" qui surpassent nos aptitudes, avant même de s'incarner dans des robots ou androïdes plus ou moins bienveillants, dont la SF a largement exploité les scénarios et les conséquences. Si bien que lorsque le gouvernement coréen a planché sur une Charte de l'éthique des robots, en 2007, il en a puisé les principes dans les trois lois de la robotique d'Asimov (1).

Porosité des inspirations

Les exemples sont nombreux d'inventions sorties tout droit de l'imagination littéraire et devenues réelles : voitures autonomes dans Minority Report de Philip K. Dick ; communication vidéo dans 1984 de George Orwell ; réalité virtuelle anticipée dans Neuromancer de William Gibson ; prothèses robotiques avancées figurant dans la série de romans cyberpunk du même Gibson... Mais il n'y a pas de magie auto-réalisatrice dans les projections de la science-fiction.

Nous croyons plutôt à la porosité des inspirations entre la science et la fiction. Du côté des auteurs, beaucoup d'entre eux ont une solide formation scientifique, lorsqu'ils ne sont pas eux-mêmes astrophysiciens (Greg Egan, David Brin, Robert Forward). Du côté des ingénieurs, ces derniers n'ont pas échappé, adolescents, à la culture livresque ou cinématographique des grandes sagas de science-fiction. Voici ce que rapporte l'auteur Neil Gaiman d'un échange avec un officiel du parti lors d'une convention de science-fiction en Chine, en 2007 :
« Jusqu’à maintenant, j’ai lu dans Locus que les vôtres désapprouvaient la science-fiction, que vous désapprouviez les conventions de science-fiction et qu’on n’avait guère encouragé ce genre de manifestations. Qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi avez-vous permis ceci ? Pourquoi sommes-nous ici ? » Et il m’a répondu : « Oh, vous savez, ça fait des années que nous fabriquons de merveilleux objets. Nous fabriquons vos iPods. Nous fabriquons des téléphones. Nous savons les fabriquer mieux que n’importe qui, mais nous ne sommes à l’origine d’aucune de ces idées. Vous nous apportez des objets qu’ensuite nous concrétisons. Nous sommes donc allés faire une tournée des États-Unis pour discuter avec des gens de Microsoft, de Google, d’Apple, et nous leur avons posé plein de questions sur eux, juste les gens qui travaillent là-bas. Et nous avons découvert qu’ils avaient tous lu de la science-fiction durant leur adolescence. Alors, nous nous sommes dit que ça pouvait être une bonne chose. » (2)

Ces ingénieurs occidentaux (et maintenant chinois) continuent aujourd'hui de visionner des films et des séries, quand ils ne sont pas appelés par les réalisateurs pour vérifier la plausibilité ou la faisabilité des innovations projetées dans des fictions futuristes. L'osmose entre les sciences dures et les fictions est omniprésente ; elle constitue un creuset bouillonnant d'idées qui se nourrit de ces apports complémentaires.

Scénarios pour le futur

Au-delà de cette intelligence des auteurs à se nourrir des avancées technologiques, il y a aussi leur intelligence émotionnelle, qui permet d'approfondir les conséquences psychologiques et sociales de ces mutations, et les rend particulièrement aptes à imaginer des histoires pour demain. En guise de scénario préparatoire, la pandémie de Covid-19 qui a frappé et stoppé le monde en 2020 avait tous les ingrédients du drame de science-fiction devenu réalité. C'est ce qu'ont bien compris les gouvernements, et en particulier les forces armées françaises, qui se dotent de storytellings de type science-fiction pour donner vie à des menaces potentielles et à leurs implications :
« Alors que l’Assemblée vote, mercredi, le budget de programmation militaire pour les sept prochaines années, les Forces armées françaises prévoient de recruter des auteurs de science-fiction pour imaginer les futures menaces à la sécurité nationale. Les romanciers de la Red Team Défense ont déjà écrit plus d'une douzaine d'histoires notamment sur la désinformation, le bioterrorisme ou le piratage d’une nation. Des scénarios étudiés avec attention et appréciés au plus haut sommet de l’État. » (3)

Plusieurs autres pays tirent des enseignements de ces projections sous forme narrative :

"(…)  Aux États-Unis, le Sigma Forum délivre depuis des années des conseils en science-fiction aux responsables de l’armée américaine. En Europe, le ministère britannique de la Défense (MOD) fait également appel à des auteurs de SF. Récemment, le MOD a dévoilé "huit visions du futur" écrites par deux écrivains américains renommés, Peter Singer et August Cole. "Qui ne voudrait pas entendre ce que ces auteurs ont à dire ?", a fait valoir la conseillère scientifique en chef du ministère britannique de la Défense, Angela McLean, pour qui l’initiative tombe sous le sens." (2)

Réservoir de fictions

Si ces auteurs sont sollicités aujourd'hui pour imaginer des scénarios à risque dans un futur proche, à la manière de la série Black Mirror, il reste à exploiter l'immense réservoir de fictions déjà écrites et filmées depuis plus de cinquante ans. Pourquoi ces œuvres s'articulent-elles aisément avec les mutations sociales et technologiques actuelles ? Comment envisagent-elles des futurs qui peuvent soit basculer dans le chaos, soit peut-être nous sauver des menaces pesant sur l'humanité ?

Si l'avenir est déjà écrit, plutôt que de s'acheminer vers une fatalité, pourquoi ne pas chercher un chemin de vie souhaitable dans toutes ces narrations du futur ? C'est l'objet de ce site.


Sources :

(1) d’après Park Hye-Young, au ministère coréen de l'information et de la communication.
(2) In : Neil Gaiman, Vu des pop cultures, Au Diable Vauvert, 2022.
(3) In : https://www.france24.com/fr/france/20230607-la-red-team-des-auteurs-de-science-fiction-au-service-de-l-armée-française