Semailles humaines

Semailles humaines

« Est-il mieux d'adapter l'homme aux planètes que les planètes à l'homme ? »


Alors que la science-fiction imagine souvent la colonisation de l’espace via la terraformation — une technique de géo-ingénierie qui consiste à rendre des planètes habitables en modifiant leur environnement — l’écrivain américain James Blish propose, dans son recueil Semailles humaines (1957), une approche inverse : la pantropie. Plutôt que de changer les planètes, la pantropie vise à adapter le corps humain pour qu'il puisse survivre et s'épanouir dans des mondes aux atmosphères, gravités ou compositions chimiques radicalement différentes.

L'adaptation biologique

« La pantropie a permis à l’homme de conquérir des milliers de planètes qui, sans elle, lui seraient demeurées fermées. Elle a accru dans des proportions considérables nos chances de devenir les maîtres de la Galaxie, de l’occuper dans sa quasi-totalité sans voler une seule planète à quiconque. Une occupation sans expropriation – et sans effusion de sang (…) » (p.215 de l’édition J’ai lu de Semailles humaines).

"Fix-up à l'ancienne, ces quatre nouvelles des années 1950 esquissent une épopée : l'ensemencement de la galaxie par des humanités modifiées, adaptées aux conditions spécifiques de planètes diverses. Les situations sont elles aussi fort variées : premiers post-humains, sur Ganymède, persécutés à cause de leur différence ; société arboricole, archaïque, lancée à la conquête de son monde malgré ses blocages religieux ou à cause d'eux ; micro-univers créé dans une flaque après un naufrage ; retour sur une Terre dévastée d'humains adaptés, d'ailleurs encore en butte au racisme des descendants du modèle originel... Le message immédiat est évident : l'unité de l'humanité, par-delà les apparences physiques. Cela avait quelque résonance dans l'Amérique de l'époque, et n'en manque toujours pas ici et maintenant. Mais la conquête se fait par extermination des espèces concurrentes, dinosauriens ou prédateurs aquatiques, et si cela relève d'une légitime défense ce n'en est pas moins un génocide... ce qui est beaucoup moins sympathique. Un procureur sourcilleux ajouterait de menues incohérences, une confiance abusive dans l'inné, l'idée que des êtres microscopiques se comporteraient et raisonneraient grosso modo comme des humains parce qu'ils en posséderaient les gènes, etc. Mais après tout, même si la SF est un genre plutôt matérialiste, un auteur a bien le droit, comme un feu président, de croire « aux forces de l'esprit ». Et puis, honnêtement, cela fait de bons textes, sans fioritures ni graisse inutile là ou d'autres commettraient une dodécalogie : on ne peut que se réjouir de les voir de nouveau disponibles en poche, alors que l'éditeur précédent les avait laissés en déshérence. Ceux qui les découvriront passeront un bon moment, ceux qui les avaient lus il y a quelques dizaines d'années aussi." Éric VIAL - Première parution : 1/5/2007 dans Galaxies 42 - Mise en ligne le : 24/2/2009

L'idée de recourir à la bio-ingénierie pour adapter les humains à d'autres environnements est un thème récurrent dans la science-fiction, particulièrement en littérature. On le retrouve chez les "Extros" dans Hypérion, les "Crakers" dans Oryx et Crake, les "aquatiques" dans Les Enfants de Poséidon, voire même chez les Rifteurs de Peter Watts. Au cinéma, cette approche reste plus rare, bien qu'il existe des similitudes entre Avatar et Titan. Dans ces deux films, le personnage principal, interprété par Sam Worthington, cherche à quitter une Terre devenue peu recommandable pour s'envoler dans les étoiles, en passant par une métamorphose pour y parvenir.

"Est-il mieux d'adapter l'homme aux planètes que les planètes à l'homme ? Est-ce « plus écologique » ? James Blish est certainement très sincère lorsqu'il l'affirme dans le livre quatrième, consacré au retour à la Terre et à une longue réflexion sur l'ensemencement. Il a été aussi, sans doute, un des premiers dans la science-fiction à dénoncer le saccage de la Terre... Mais jamais l'idée que ses « manipulations techniques hautement élaborées » pourraient être incroyablement dangereuses ne semble l'effleurer. Ou peut-être s'en moque-t-il. L'important, c'est la colonisation. Il faut préserver l'objet à coloniser, les planètes ; tant pis si l'on perd en route, par accident, quelques milliards de vaisseaux humains..." Michel Jeury, in Fiction 285 (Première parution : 1/11/1977) Mise en ligne le : 25/9/2011.

L'adaptation cybernétique

Dans la famille des post-humains, les cyborgs présentent des besoins physiologiques qui varient en fonction de leur conception. Certains, partiellement biologiques, conservent des organes essentiels comme le cerveau ou le cœur, et nécessitent donc un apport en nourriture et en eau, bien que réduit par rapport à un humain. D'autres, plus proches de la machine, sont conçus pour fonctionner avec des sources d'énergie artificielles (comme des batteries ou l’énergie solaire), ce qui les dispense de tout besoin alimentaire ou hydrique. Un cyborg boit et mange peu, voire pas du tout. Il n'est même pas obligé de respirer de l'air. Alors, finalement, remodeler le corps humain pour s'adapter aux conditions extrêmes d'un environnement extraterrestre ne serait-il pas l'approche la plus efficace pour coloniser une autre planète ? En 1976, Frederik Pohl écrit Homme-Plus et nous fait partir à la conquête de Mars.

"Frederik Pohl nous raconte avec beaucoup de finesse, d'intelligence, de sensibilité et de métier l'aventure du « premier Martien », le cosmonaute Roger Torraway que l'on a transformé chirurgicalement et électroniquement : presque un cyborg. La psychologie de Torraway est étudiée avec la plus grande attention : ce n'est pas un simple vaisseau humain comme les héros de Blish. Ces derniers se sentent bien dans leur peau : après tout, ils sont nés comme ça. [Dans le livre premier des Semailles humaines,] Sweeney rêve de devenir un homme comme les autres ; mais pas longtemps. [Dans Homme-Plus,] La transformation est plus difficile à supporter. « Ça n'est pas chose facile pour un être humain en chair et en os, que d'accepter l'idée qu'une partie de sa chair va lui être arrachée pour être remplacée par de l'acier, du cuivre, du plastique, de l'aluminium et du verre. Nous pouvions voir que Torraway ne se comportait pas de manière très rationnelle » (p. 71). Ici, le sujet du roman est bien Torraway et son corps. Le corps prend parfois plus d'importance que Torraway ; mais il reste sujet, ne devient objet que par renversement de point de vue, et on s'intéresse plus à ce qu'il est qu'à ce qu'il fait. D'autre part, l'auteur est très conscient du danger qu'il y a à manipuler le matériau humain (bien qu'on ne fasse pas d'ingénierie génétique avec Torraway)." Michel Jeury, in Fiction 285 (Première parution : 1/11/1977) Mise en ligne le : 25/9/2011.

La terraformation, ou ailleurs comme sur la Terre

La terraformation consiste à transformer l'environnement d'une autre planète pour le rendre plus proche de celui de la Terre, potentiellement habitable par l'homme sans dépendre de systèmes de soutien de vie artificiels. Parmi les planètes accessibles avec notre technologie, Mars est la seule candidate crédible pour un tel projet. Bien que son atmosphère soit très fine (la pression atmosphérique y est 170 fois moindre que celle de la Terre) et composée majoritairement de dioxyde de carbone, sa proximité avec la Terre, sa taille, et l'existence passée d'eau en surface en font une cible privilégiée pour les partisans de la terraformation.

Épopée et fresque sociale, La Trilogie de Mars (1992-1999) de Kim Stanley Robinson décrit les efforts de plusieurs générations de colons pour terraformer Mars en vue de rendre la planète habitable pour l'humanité.

« L'art narratif de Kim Stanley Robinson ne s'exerce pas qu'à filmer une société avec les yeux de plusieurs protagonistes. Il instruit son public d'une foule de renseignements astronomiques ; il l'éblouit par de vertigineuses descriptions de paysages ; il lui montre les miracles technologiques qu'accompliront les ingénieurs de demain. La visite des canyons martiens, profonds de trois kilomètres, le survol des volcans géants de Tharsis (les plus hautes montagnes du système solaire) ou l'arrimage du prodigieux ascenseur de l'espace reliant la planète à l'un de ses satellites valent à eux seuls le voyage ». François Rouiller - Noosfere (Première parution : 24/12/1994) Mise en ligne le : 10/11/2000

Mais trente ans après la publication de cette trilogie, son pouvoir d'émerveillement ne s'est-il pas dissipé, tout comme l'atmosphère martienne il y a de cela plusieurs milliards d’années ?

Les avancées scientifiques indiquent qu'il est très peu probable que nous puissions rendre Mars véritablement semblable à la Terre. Les conditions atmosphériques extrêmes, l'absence d'une magnétosphère protectrice et les ressources limitées en eau et en oxygène posent des défis quasi insurmontables à une terraformation à grande échelle. Le remodelage de Mars, si bien décrit dans la science-fiction, relève davantage de l'imaginaire que de nos capacités technologiques actuelles ou futures. (1)

Un avant-poste martien

@SpaceX

Depuis des décennies, les missions d'exploration robotique sur Mars se multiplient, laissant entrevoir la possibilité d'un atterrissage humain sur la planète rouge dans un avenir proche. Vers 2030, on pourrait même lire sur X : "Les robots humanoïdes Optimus ont atterri sur Mars. Un pas de géant pour l'humanité multi-planétaire. 🚀👨‍🚀 #MakeLifeMultiplanetary"

La première étape consistera à localiser des régions riches en glace d'eau. Des rovers et drones robotisés exploreront ces zones pour confirmer la présence d'eau, analyser le sol et préparer un site d'atterrissage sûr. Ensuite, des robots construiront les infrastructures martiennes en utilisant les ressources locales : habitats souterrains ou semi-enterrés, protégés des radiations par une couche de régolithe. Puis, ils mettront en service les systèmes énergétiques et de survie des astronautes.

La NASA, SpaceX ou l'agence spatiale chinoise pourraient installer cet avant-poste martien entre 2030 et 2040. Mars présente des avantages par rapport à l'espace : infrastructures permanentes, protection contre les radiations, réserves de matériel. Tous les équipements critiques devront être dupliqués pour garantir la redondance : sources d'énergie, imprimantes 3D, systèmes de survie, pièces de rechange et robots. Un enjeu central de cette mission sera la production d'aliments à partir des ressources disponibles sur place : le sol, l'eau, les nutriments et la lumière solaire. (2)

Il est possible que les premiers explorateurs, qu'ils soient Américains ou Chinois, foulent le sol martien à partir de 2040. Cette mission verra quatre à six astronautes ou taïkonautes entreprendre un voyage aller-retour de plus de deux ans.

Pour que cet avant-poste devienne autosuffisant, il faudra trouver des solutions durables pour nourrir les futurs colons. Les gènes des plantes pourront être modifiés pour maximiser l'absorption du CO₂, générer davantage d'oxygène, accroître la résistance aux radiations ou produire des nutriments essentiels à partir de sources alimentaires limitées.

Une alternative à l'élevage traditionnel sera la production de viande cultivée en laboratoire, obtenue à partir de cellules animales et produite grâce à des bioréacteurs. En plus des plantes modifiées et des viandes cultivées, l'alimentation sur Mars devra s'appuyer principalement sur des cultures hydroponiques, l'élevage de crevettes et de poissons, ainsi que la consommation d'algues et d'insectes. Ces derniers représentent une source de protéines particulièrement intéressante, tout en étant bien plus efficaces sur le plan des ressources.

Après avoir surmonté les obstacles pour survivre, une première communauté humaine, composée d'environ 100 à 150 individus, pourra s'installer, incluant des membres en âge de procréer pour assurer une croissance démographique. Durant les premières années, les colons se concentreront principalement sur leur survie et la préservation de leur santé mentale et physique, tout en espérant que la Terre ne les oubliera pas avant que leur base ne devienne entièrement autonome.

Au fil du temps, cet avant-poste pourra s'étendre et devenir une colonie pérenne, puis essaimer d'autres oasis de vie. Le nombre minimum d'individus d'une espèce nécessaire à un endroit pour qu'elle puisse perdurer varie considérablement, mais il est souvent estimé autour de 1 000.

Ces colons pourraient-ils, au fil de l'évolution, devenir des Martiens ? Chris Impey, professeur d'astronomie à l'université d'Arizona, prévoit que le processus naturel d'évolution pourrait s'accélérer avec une colonie martienne. Leur corps pourrait devenir plus grand et plus mince en raison de la gravité martienne, qui représente environ un tiers de celle de la Terre. De plus, ils pourraient perdre leurs poils dans un environnement contrôlé et dénué de poussière. Les Martiens seraient différents des Terriens, car on ne peut pas s'adapter sans changer.

Le « véritable Martien » n'existera peut-être jamais vraiment. Mais à très long terme, après des dizaines de générations, des êtres que l'on peut imaginer mi-cyborgs mi-humains s'éloigneraient alors des Terriens autant que nous nous sommes éloignés des primates. Nous pourrions assister à l'émergence d'une nouvelle espèce humaine, nous pourrions même ne plus être capables de nous reproduire ensemble.

Sources :

(1) In : https://www.planetary.org/articles/can-we-make-mars-earth-like-through-terraforming
(2) In : https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC9385024/


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Point de vue


Pour Michel Jeury, Semailles humaines peut aussi être interprété, à contrario, comme "un ardent plaidoyer contre l'acharnement des hommes à transformer la Terre pour l'adapter à un certain type humain, dont les besoins sont en partie imaginaires : le citadin occidental du XXe siècle".

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