Villes du futur
« Circonvenir la démesure est plus important que circonscrire un incendie. » Héraclite
Communautés ancrées dans un territoire, lieux de médiation et d’échanges, les villes se transforment au fil des interactions et des aspirations de leurs habitants. Elles reposent sur un équilibre fragile entre protection, commerce, plaisir, services et vie collective.
Lorsque ce pacte social se brise, la ville se délite : elle se vide, s’efface, jusqu’à devenir ruine ou vestige. Pourtant, l’abandon d’une ville ne s’explique jamais par une seule cause. C’est, fondamentalement, un processus politique.
Plus important encore, sa désertion n'entraîne pas l'effondrement de sa société. Les individus font preuve de résilience, et nos cultures ont la capacité de survivre aux catastrophes, même si nos villes ne partagent pas toujours cette même résistance.
« Dans les villes du monde actuel, nous nous heurtons aux mêmes problèmes que nos ancêtres urbanisés, cependant que la politique est gangrénée par la corruption et que la catastrophe climatique menace à l’horizon. Parce que la majorité des humains vit aujourd’hui dans des villes, les enjeux sont infiniment plus importants. Le destin de l’urbanisme est indissociable de celui de l’humanité. Si nous répétons au XXIe siècle les erreurs du passé, nous risquons de propager une forme d’urbanisme toxique qui changera la face de la planète entière – et pas en mieux. Les villes sont déjà à la peine pour empêcher la contamination de l’eau, les pénuries alimentaires, les désertions massives et le fléau des sans-abris. Nous fonçons vers un futur dans lequel les métropoles seront devenues invivables, mais où les solutions de remplacement se révéleront pires encore... Mon espoir est que les histoires profondes relatées dans ce livre nous montrent ce qu’exige la revitalisation d’une ville et du milieu naturel qui l’entoure. Car après tout, c’est de nos erreurs que nous tirons les meilleurs enseignements ». Les Cités disparues d'Annalee Newitz
Les villes du futur : entre utopies et dystopies
Les villes du futur, telles que les représentent les littératures de l’imaginaire et le cinéma SF jusqu’à nos jours, portent le reflet des espoirs et des angoisses de leur temps. Deux grandes oppositions structurent ces représentations : la verticalité — entre sommets dominants et bas-fonds relégués — figure la lutte des classes, tandis que le contraste entre clarté et obscurité révèle des visions tantôt utopiques, tantôt dystopiques.

Article approfondi paru dans nos actualités
Avec des projections qui envisagent que, d'ici 2050, les deux tiers de la population mondiale vivront dans des zones urbaines, il faut trouver des moyens de mieux habiter et vivre ensemble dans les villes. Or, en la matière, la science-fiction nous montre le chemin à ne pas suivre pour faire des villes un enfer sur Terre. Mais elle ne nous dit pas comment faire des villes soutenables, résilientes, inclusives, des lieux où il fait bon vivre pour tous.

The Line, une ville de SF au cœur du désert
En tant que puissants vecteurs de transformation urbaine, les villes nouvelles accentuent les dynamiques de reconfiguration des territoires. Créées ex nihilo (dans les années 1950 en Inde, dans les années 1960 en Angleterre, dans les années 1960-1970 en France, à partir des années 1990 en Asie) dans la zone d’influence des grandes agglomérations, leur objectif est d'encadrer la périurbanisation et de maîtriser l'étalement urbain. Ces initiatives s'inscrivent toujours dans le sillage de réflexions sur la cité idéale et l'utopie, et suscitent de grandes attentes dans la population.
En France en 1982, une des conséquences de la décentralisation est d’avoir profondément transformé le cadre légal centralisateur. Aujourd’hui, il serait difficile, voire impossible, de lancer de grandes actions collectives d’aménagement comme dans les années 1960. Inversement, en Arabie Saoudite, The Line, ville futuriste et controversée du projet Neom, est déjà visible depuis le ciel. Ce projet urbanistique est largement promu depuis janvier 2021, mais il est en préparation depuis plusieurs années. Intégré à Neom, vaste campagne de construction lancée à l'automne 2017 dans toute la région de Tabuk, dans le nord-ouest du pays, il semble bien incertain. Pourtant, la progression des travaux est réelle. (1)
Les autorités saoudiennes insistent sur le caractère futuriste de ce projet emblématique. Lune artificielle, plages phosphorescentes, ou encore des majordomes robotisés : le projet regorge de projets innovants inédits. Aussi, l’économie se voudra axée sur les nouvelles technologies (impression 3D, robotique, biotechnologies, nanotechnologies…).
« Le monde se tournera vers Neom pour la prochaine génération de thérapie génique, la génomique, la recherche sur les cellules souches, la nano-biologie et la bio-ingénierie », indique un communiqué de presse de l’agence de presse officielle saoudienne (SPA).
Cette ville abritera deux gratte-ciels face à face recouverts de miroirs. Ces immeubles parallèles devraient accueillir 1,2 million de résidents dès 2030. Les futurs résidents bénéficieront de toutes les installations adéquates : espaces résidentiels, écoles, parcs, loisirs, lieux de travail, commerces…. Des industries et des projets d’agriculture sont aussi prévus.
« Il faut imaginer une cité construite au milieu du désert. Tout ce dont on a besoin se trouve à moins de cinq minutes à pied. Pour s'y rendre, il n'y a qu'à déambuler au sein d'un immeuble ultramoderne d'une longueur inouïe, à peu près l'équivalent de la distance Paris-Honfleur en marchant. À l'intérieur, pousse une végétation luxuriante. Des drones et des navettes autonomes y circulent. Enfin, le quotidien, de la gestion économique à la police, est assurés par des algorithmes dotés d'une intelligence artificielle ». (1)
170 kilomètres de long, 500 mètres de haut, 200 mètres de large.
Un projet titanesque digne d’un roman de SF
Ce projet rivalise horizontalement avec Les Monades urbaines, le roman de Robert Silverberg publié en 1971. "Mais comme dans tout bon récit de science-fiction qui se respecte, l'utopie vantée de The Line pourrait dissimuler un côté obscur où se révèlent toutes les fractures et contradictions de nos sociétés supposées post-modernes", souligne le géographe Alain Musset.
Bien que The Line donne l'image d'une société idéale, elle soulève les risques d'une société entièrement régie par la technologie et l'automatisation. Et ce projet de dissimuler une dystopie, marquée par l'oppression, la surveillance omniprésente et la perte de liberté individuelle, sous le contrôle d'une élite privilégiée qui concentrerait ressources et pouvoir.
Cette dépendance excessive aux systèmes informatiques et à l'intelligence artificielle pourrait même accroître la vulnérabilité de la société aux pannes techniques, aux cyberattaques ou à la manipulation des données, menaçant sa stabilité et sa sécurité. Et derrière cette façade de perfection, un conformisme imposé pourrait surgir, où la pensée divergente et l'expression individuelle seraient étouffées au nom de l'harmonie sociale ou de principes idéologiques. Les dissidents risqueraient d'être marginalisés, réprimés, voire censurés, et les opposants au statu quo perçus comme des « perturbateurs » de l'ordre établi.
Mirage lointain
Ceux qui ont décidé de construire cette mégastructure ont fait appel à des représentations de la ville intelligente qui participent au « sense of wonder » de la SF. Mais ils ont aussi souhaité un ordre spatial qui correspond à l'ordre social qu'ils veulent imposer aux 9 millions d'habitants prévus d’ici 2045. La notion de "ville verticale" entraîne une rupture avec le monde extérieur, et l'on peut supposer que la "ville linéaire" provoquera un effet similaire.
Lorsqu'elle aura émergé du sable dans plusieurs années, cette mégapole futuriste, ultra-technologique et "écologique" suscitera encore bien des interrogations sur son autosuffisance contrôlée et sa durabilité. Dès lors, cette barrière invisible divisera physiquement le territoire en deux en se fondant dans le paysage par un jeu de miroirs.

Sources :
En raison de problèmes de financement, le gigantisme de "The Line" n'aura-t-il existé que sur le papier ?
https://www.courrierinternational.com/article/economie-l-arabie-saoudite-contrainte-de-reduire-drastiquement-la-voilure-de-ses-megaprojets
Points de vue :

Point de vue

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« La ville n'est que l'expression matérielle de nos idéologies. Travaillons sur la société et la ville ira mieux ». Alain Musset

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