Quelques notes sur la Culture, de Iain M. Banks

Quelques notes sur la Culture, de Iain M. Banks
@ Sébastien Garnier

Le "Cycle de la Culture" est un vaste space opera, qui comporte neuf romans et un recueil de nouvelles.

"Iain M.Banks est l'un des quelques auteurs incontournables de la SF contemporaine. Au point même qu'il est proprement inconcevable de prétendre s'intéresser au genre sans l'avoir lu. En quelques romans devenus depuis des classiques, l’Écossais a révolutionné le Space opera. Contribution majeure et pierre angulaire de sa science fiction, la Culture est incontestablement la véritable héroïne de ses romans". ActuSF

La Culture peut être vue comme une utopie technique et philosophique à part entière, dont le moteur principal est la subversion : tout en elle est remise en cause, création transgressive, ouverture infinie et conflictuelle.* Il s'agit d'une société anarchiste, sans loi, hiérarchie, argent ou propriété. Travaillant constamment à son propre dépassement et à la recherche du bien-être collectif, elle représente une civilisation interstellaire avancée où les frontières technologiques, sociales et morales sont en évolution permanente.

Dans la Culture, les IA, la manipulation génétique, l'éducation continue et l'exploration spatiale jouent un rôle important. Cependant, l'essence de cette civilisation réside dans la valorisation du bonheur, de la connaissance et de la liberté individuelle. Malgré ses imperfections et son cynisme, la Culture inspire l'espoir de voir les humains apprendre à coopérer pour le bien de tous.


"Commençons par le plus important : la Culture n’a pas d’existence réelle. Ce n’est qu’une fiction. Elle n’existe que dans mon esprit et dans celui des gens qui l’ont rencontrée dans mes histoires." C'est ainsi que débute l'article "Quelques notes sur la Culture" publié en 1994 sur Internet par Iain M. Banks.

Explorons maintenant ces quelques notes en relation avec les thématiques abordées sur ce blog : semailles humaines, intelligence artificielle, villes du futur et science-fiction porteuse d'espoir.

Diaspora d’humains, d’intelligences artificielles et de quelques autres espèces

Dans la galaxie où se déroulent les récits, une diversité de formes de vie a émergé, traversant diverses étapes de civilisation, de conflits, de déclins et de renaissances. À cette époque, un éventail de civilisations spatiales coexistent, avec des sociétés mineures, des espèces en développement et des peuples isolés ou éteints.

Dans l'univers d'Iain M. Banks, la Culture se distingue comme une civilisation collective formée par l'union de sept ou huit espèces humanoïdes et de groupes d’intelligences artificielles. Ces civilisations, capables de voyager dans l’espace, ont établi une fédération souple environ neuf mille ans auparavant pour assurer leur indépendance face aux structures de pouvoir établies, principalement par les États-nations planétaires et les groupes commerciaux autonomes dont elles sont issues. Cette alliance originelle entre vaisseaux et habitats spatiaux fondateurs a été nécessaire pour acquérir et maintenir leur indépendance.

« La Culture est large d’esprit. Elle accorde et reconnaît en chaque créature (biologique ou mécanique) intelligente-consciente la capacité et le droit à être considérée comme humaine et donc à jouir de tous les droits qu’elle se targue d’offrir à ses citoyens. »*

La philosophie de la Culture repose sur l'inclusion et le respect de toute forme d'intelligence consciente, accordant à chacune le droit d'être considérée comme égale et jouissant de tous les droits réservés à ses citoyens. Sa gouvernance repose sur des référendums pour résoudre les problèmes, avec un droit de vote universel. Les pouvoirs politiques sont largement distribués pour limiter l'influence de toute entité individuelle.

La Culture promeut la résolution pacifique des conflits et évite les confrontations violentes, favorisant la diplomatie, la persuasion et la compréhension mutuelle pour résoudre les différends. La section diplomatique "Contact" est un pilier de la Culture, explorant, cataloguant, évaluant et, si nécessaire, intervenant dans les civilisations découvertes. "« Contact » est l’élément le plus cohérent, le plus stable de la Culture – en tout cas quand on se place à l’échelle galactique ; pourtant, elle n’en constitue qu’une infime partie ; c’est presque une petite civilisation en elle-même, à l’intérieur d’un hôte plus vaste, mais elle ne représente pas plus celui-ci qu’une armée ne représente un pays en paix. Même la langue de la Culture, ce « marain » dont elle s’enorgueillit tant, n’est pas parlée par tous ses citoyens, alors qu’elle est employée bien en dehors de son territoire."

La Culture semble décidément être ce qui se rapproche le plus en SF d'une société galactique tolérante dotée d'une morale. Cette civilisation compte trente mille milliards de citoyens, mêlant dans une totale égalité humains, extraterrestres, drones et intelligences artificielles.

EutopIA

L'émergence de l'IA est considérée comme inévitable et elle est intégrée à la société.

La Culture est gouvernée par des intelligences artificielles avancées appelées « Mentaux » qui veillent au bien-être de ses citoyens, anticipent leurs besoins et gèrent les aspects logistiques de la société. Elles administrent cette richesse pour le bénéfice de tous. Les vaisseaux spatiaux de la Culture sont dotés d'intelligence artificielle avancée et servent de véhicules de représentation pour la société. "Leur « Mental » entretient avec la matière composant le vaisseau les mêmes relations que le cerveau humain avec le corps qui l’abrite : le Mental est l’élément crucial, le reste ne faisant qu’assurer la survie et la mobilité. Le pilotage de ces vaisseaux ne requiert ni humains ni drones indépendants (I.A. individuées mais non-androïdes dont l’intelligence équivaut à peu près à celle d’un humain), et ceux-ci se situent quelque part entre le passager, l’animal de compagnie et le parasite."

Comme un commentateur l'a dit,

« En confiant toute la puissance à ces intelligences Artificielles, les "Mentaux", à la fois individualistes, parfois excentriques, mais toujours bienveillantes, Banks savait ce qu'il faisait, c'est le seul moyen pour que l'anarchie libérale puisse être atteinte, en prenant le meilleur de l'homme et en le plaçant au-delà de la corruption, ce qui signifie hors de contrôle de l'homme. Le danger impliqué dans cette étape d'imagination, cependant, est clair ; l'un des problèmes avec les romans [du cycle de] la Culture en tant que tels, c'est que les personnages centraux, les Mentaux, sont trop puissants et, pour le dire crûment, trop bons. »**

Des propos à contrebalancer par la réflexion d’un ennemi de la Culture :

« Comment croire que les simples citoyens de la Culture désirent réellement la guerre, quel qu'ait été le résultat de leur vote ? Ils avaient leur utopie communiste. Ils étaient mous, choyés et trop gâtés, et le matérialisme évangélique de la section Contact se chargeait des bonnes œuvres destinées à soulager leur conscience. Que demander de plus ? Non, la guerre devait être au départ une idée des Mentaux ; on reconnaissait bien là leur volonté clinique de nettoyer la galaxie, d'en assurer le fonctionnement esthétique et efficace, sans gaspillage ni injustice, ni souffrance d'aucune sorte. »

Villes dans l'espace

La manière dont les espèces évoluent et se développent sur leur planète d'origine influence leurs structures mentales. Les modes de pensée des tribus, clans, pays, ou États-nations sont principalement bidimensionnels, ce qui signifie qu'ils sont fortement influencés par la géographie et le territoire. Les ressources naturelles, l'espace vital et les voies de communication sont tous déterminés par la structure physique de la planète sur laquelle une civilisation se développe.

Lorsque l'humanité s'étend dans l'espace, les systèmes de pouvoir centralisés, tels que les États-nations, ne peuvent pas perdurer longtemps. Les habitats spatiaux doivent être autonomes pour survivre, ce qui signifie que le contrôle de l'État ou des corporations diminue à mesure que les aspirations des habitants entrent en conflit avec le pouvoir central.

Principalement installés dans des Orbitales, d'immenses habitats artificiels en forme d'anneau en orbite autour des étoiles, les habitants de la Culture ont choisi cette forme de vie plutôt que la terraformation des planètes. Les Orbitales offrent un cycle jour-nuit et une gravité artificielle, et sont construites progressivement à partir de Plateaux, des sections de terre et d'eau maintenues par des champs tenseurs. Cette méthode de construction permet d'utiliser efficacement l'espace et la matière, tout en évitant la destruction des planètes. La Culture préfère utiliser des matériaux provenant de comètes, d'astéroïdes et de la matière interstellaire.

Les habitants de l'espace sont conscients de leur interdépendance et de leur dépendance à la technologie pour survivre. L'auteur explique que la nature de l'espace en tant qu'environnement hostile modifie les structures de pouvoir et les modes de pensée et façonne le type de civilisation qui y prolifère. La vie en milieu spatial pourrait conduire à des structures sociales internes semblables au socialisme tout en favorisant une certaine anarchie dans les relations entre vaisseaux et habitats. Les conflits dans l'espace sont plus difficiles à contrôler, surtout lorsque de nombreux éléments impliqués proviennent de vaisseaux ou d'habitats mobiles. Attaquer un vaisseau rebelle peut entraîner sa destruction totale, s’exposant ainsi à perdre tout le bénéfice économique de la victoire.

La Culture étant un agrégat de civilisations et de mondes, elle dispose de vastes ressources à sa disposition. Cette taille et cette richesse permettent à la Culture de mobiliser rapidement des moyens considérables pour répondre aux menaces. En cas de besoin, elle peut mobiliser une flotte de vaisseaux et de ressources presque illimitée.

En raison de sa puissance et de sa technologie, la Culture est rarement confrontée à des menaces sérieuses. Les seules exceptions notables sont les "Problèmes Hors Contexte" (outside context problems), qui sont des menaces inattendues et extrêmement dangereuses. Même dans ces situations, la Culture fait de son mieux pour s'adapter et survivre.

« Ce n’est donc pas au sein de la Culture qu’il va se passer des choses intéressantes, mais à sa marge, c’est-à-dire là où les sections Contact et Circonstances Spéciales, les services diplomatique et militaire de la Culture agissent. Car comme toute société sûre (à juste titre) de sa supériorité technologique et morale, la Culture a tendance à intervenir dans les affaires de ses voisins, moins avancés, moins égalitaristes, moins gentils, en un mot moins… Culture. » L'épaule d'Orion

A chaque roman correspond donc sa circonstance spéciale qui donne lieu à une opération d’ingérence galactique.*

UtopIA

La Culture de Iain M. Banks offre une vision idéalisée d'une société futuriste qui encourage la pensée audacieuse, la créativité, ainsi que l’idée d’élégance dans la minimisation du gaspillage – une espèce de conscience écologique à l’échelon galactique alliée au désir de beauté et de bonté. Elle soutient des voyages interstellaires, la recherche scientifique et l'art, ce qui suggère que la curiosité et la soif de connaissance sont des moteurs puissants du progrès.

L'éducation est un processus constant qui se poursuit tout au long de la vie des individus. Les citoyens de la Culture ont la possibilité de voyager dans l'espace dans des vaisseaux mobiles, mais ils peuvent également choisir de vivre des expériences virtuelles ou de déléguer leurs expériences à d'autres entités, avant d’incorporer les souvenirs ainsi engrangés par procuration.

Hédoniste, la Culture valorise le plaisir et la satisfaction des désirs individuels, tout en maintenant une conscience de la chance de vivre dans une telle société.

Le principe est simple : la Culture a les moyens de réaliser tous vos désirs.*

L'auteur souligne que "la pulsion de réalisation du désir est à la fois un des moteurs les plus puissants de la civilisation et sans doute une de ses fonctions les plus élevées. On désire vivre plus longtemps, on désire vivre plus confortablement, avec moins d’angoisse et plus de plaisir, moins d’ignorance et plus de savoir que ses ancêtres…"

Imaginez une société où la plupart des tâches sont accomplies par des machines, laissant aux êtres humains le temps de se consacrer principalement à des activités agréables et éducatives. Dans cette société idéale, les Culturiens bénéficient d'une abondance matérielle grâce à des technologies avancées de transformation de la matière, leur permettant de créer tout ce dont ils ont besoin à partir de ressources brutes. Les notions de rareté et de besoins économiques sont largement obsolètes, ce qui permet aux individus de se consacrer à leurs propres intérêts personnels. Contrairement aux sociétés capitalistes contemporaines, la Culture n'a pas de marché tel que nous le connaissons. La Culture, elle, construit pour durer.

Dans ses notes, Iain M. Banks remet en question la moralité du marché actuel par rapport à une économie planifiée, en insistant sur l'importance de la participation citoyenne dans la planification économique. Selon lui, le marché est un exemple d'expérimentation constante, où différentes approches sont testées pour déterminer leur efficacité. Cependant, il critique sévèrement le marché en tant que système rudimentaire et fondamentalement aveugle, incapable de distinguer la surproduction inutile de matières premières de la souffrance infligée à des êtres conscients.

La Culture, c’est une société hautement automatisée... et progressiste

Ses habitants post-humains naissent avec des altérations génétiques qui améliorent leur santé, leur intelligence et leur expérience sensorielle. Ils ont également la possibilité de changer de sexe à volonté ou de forme grâce aux biotechnologies. Les conventions, voire la tradition en vigueur dans la Culture à l’époque où se déroulent ces récits veulent que chacun donne le jour à un enfant au cours de sa vie. La mort est acceptée comme une partie naturelle de la vie, et les funérailles impliquent souvent la diffusion des particules corporelles dans le soleil.

En ce qui concerne les relations interpersonnelles, la Culture présente divers modèles familiaux, mais le style de vie le plus courant regroupe généralement des individus de différentes générations dans des résidences semi-communautaires. Les relations familiales peuvent être assez distendues, avec un grand nombre d'oncles, de tantes et de cousins. L'éducation des enfants est prise en charge par l'entourage en cas de maltraitance parentale (ce qui se révèle exceptionnel).

Sa société fonctionne sans lois strictes, mais plutôt en suivant des normes de comportement consensuelles et de savoir-vivre. La Culture n'a pas de pénurie de biens matériels, ce qui réduit les atteintes à la propriété privée. Les crimes graves, comme le meurtre, sont punis par des sanctions appropriées, telles qu'une proposition de traitement et la surveillance par des drones punitifs. Les mégalomanes n'y sont pas absents, mais généralement, on s’arrange pour les amener à s’investir dans des jeux extrêmement compliqués qui peuvent se dérouler dans la Réalité Virtuelle.

La Culture valorise la diversité sous toutes ses formes, y compris la diversité des espèces, des cultures et des idées. Elle encourage l'interaction et la coopération entre des entités très différentes, ce qui peut être une source d'innovation et de compréhension mutuelle. Elle n'encourage généralement pas l'immigration, préférant aider d'autres civilisations à développer leur potentiel sans les coloniser. Cependant, certaines personnes peuvent choisir de quitter la Culture pour une autre civilisation, mais cela implique généralement de renoncer à la technologie de la Culture et d'accepter un niveau social qui évite de perturber la société d'accueil.

Une utopie stable et coopérative

"La Culture a plus ou moins atteint le statu quo il y a des milliers d’années et s’est installée dans la durée comme ère « civilisationnelle » stable, une sorte de point culminant capable de subsister dans l’avenir prévisible, voire pendant des milliers de générations. La vie quotidienne des Culturiens varie considérablement d’un endroit à l’autre, mais il y règne une stabilité générale que nous-mêmes trouverions soit fort paisible, soit, finalement, assez décevante, selon le tempérament de chacun."

Iain M. Banks imagine une société coopérative, défiant ainsi notre monde marqué par le capitalisme, l'oligarchie et le nationalisme. En créant la Culture, il imagine à quoi pourrait ressembler un monde, voire une galaxie, avec une telle vision. On peut chercher à échapper à la réalité en lisant ces romans, mais on peut aussi y trouver de l'inspiration dans la vision optimiste et progressiste qui les sous-tend.


« La Culture va au-delà, mélange tout, déborde les catégories. Qu’est-ce qu’une utopie, qui n’est pas un lieu, ni vraiment une société, mais une « Culture » ? » Alice Carabedian*

Sources :

* In : Alice Carabedian. Le « Cycle de la Culture » de Iain M. Banks : l’utopie hors de l’île. Encyclo. Revue de l'école doctorale Sciences des Sociétés ED 624, 2014, pp.129-144. ⟨hal-01158309⟩

Les textes d'Alice Carabedian sur la Culture sont à télécharger :


** In : Chris Brown, Journal of International Studies, 2001.


Une sélection d'articles pour en savoir plus sur la Culture :

Iain M. Banks – Cycle de la Culture – Guide de lecture
Bien que le cycle de la Culture de Iain M. Banks (1954 – 2013) soit une des œuvres les plus importantes du New Space Opera et de la SF Transhumaniste, et plus généralement de la science-ficti…

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Le cycle de la Culture - Design des vaisseaux - Iain M. Banks
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