Avatar, un conte moderne ?

Avatar, un conte moderne ?
© Lightstorm Entertainment
"En 2009, Avatar faisait la part belle à l'écologie, au féminisme, à la protection des peuples premiers, de leurs savoirs, de leurs ressources. Derrière l'incroyable succès, derrière la réussite plastique et narrative du blockbuster grondait la colère d'un réalisateur révolté par l'état du monde, inquiet de le voir courir à sa perte." Victoria Gairin (1)

L'univers d'Avatar

Avatar se distingue par un univers immersif et riche en symboles. L’exolune Pandora, avec sa faune, sa flore et sa spiritualité, incarne une nature préservée par ses habitants, les Na’vis. Ce monde imprégné d’animisme, où les espèces vivent en communion, évoque la richesse d’une Terre originelle, actuelle ou disparue.

Cette immersion totale repose sur une prouesse technique que souligne Philippe Nassif : "En usant d’une débauche technologique inouïe pour créer un luxuriant monde organique, Avatar signale une possible renaissance du 7e art. Il parvient surtout à nous émerveiller : comme si nous entrions pour la première fois dans une salle de cinéma et que nous regardions un film avec le même enthousiasme natif que Jake Sully réincarné en Na’vi, se mettant à courir tel un enfant ivre d’une joie retrouvée." (2)

En 2154, l’humanité se tourne vers Pandora afin d’exploiter un minerai rare, présenté comme la solution à la crise énergétique terrestre. Pour communiquer avec les Na’vis, les Terriens créent des « avatars », corps hybrides adaptés à l'exolune, dans lesquels ils transfèrent leur conscience. Jake Sully, un ancien marine paraplégique, prend part au programme à la place de son frère décédé. Dans son corps Na’vi, il rencontre Neytiri, dont il s'éprend et qui lui fait gagner la confiance du clan. En découvrant leur culture, Jake remet en question les motivations de l’entreprise minière et se retrouve partagé entre les intérêts des humains et ceux des Na’vis.

Dès le prologue du premier volet, la démesure du vaisseau de la RDA (Resources Development Administration) en approche de Pandora et de la géante gazeuse Polyphème fascine. La beauté de ces images fait presque oublier la brutalité de la mission : le pillage de l’unobtanium. Pourtant, l’expédition obéit à une logique contradictoire. Parcourir 4,37 années-lumière à bord d’un engin colossal implique une dépense énergétique titanesque pour une Terre censée être en pénurie. Cette contradiction révèle l’hypocrisie d’un système prêt à sacrifier des ressources immenses afin d’en exploiter d’autres. Avatar dénonce ainsi la dérive d’une entreprise privée toute-puissante, la RDA, ancienne start-up de la Silicon Valley devenue au XXIIᵉ siècle un complexe militaro-industriel décidé à annexer Pandora pour préparer l’exode des Terriens.

Avec la sortie d’Avatar : La voie de l’eau (2022), James Cameron exprime sa préoccupation face à l’impact croissant de l’humanité sur la nature et insiste sur la nécessité de « choquer les gens » pour éveiller une conscience écologique. Cette intention apparaît surtout dans les scènes de chasse aux Tulkun, créatures marines intelligentes et majestueuses que les humains tuent pour l’Amrita, une substance capable d'arrêter le vieillissement humain. Ces scènes évoquent directement les massacres de baleines et de dauphins.

Le second volet met également l’accent sur la famille et approfondit les thèmes du premier film en abordant plus directement l’impérialisme. En 2169, les humains reviennent sur Pandora, attirés non seulement par ses richesses naturelles, mais aussi par la possibilité de s’y établir durablement. Leur projet de colonisation provoque la destruction de nouveaux habitats et menace l’équilibre écologique de la planète.

Jusqu'à présent, Cameron a mis en avant les Omaticaya et les Metkayina, deux clans pacifiques qui ne recourent à la violence que lorsque les humains menacent leurs écosystèmes. Le premier volet s'inspire d'un schéma amazonien et chamanique (l'Arbre des Âmes), tandis que le second nous amène sur le territoire du peuple de la mer, inspiré des Maoris. Ces références culturelles s'inscrivent dans une démarche mythologique plus profonde.

La dimension mythologique

James Cameron est un bâtisseur d’imaginaires. Mais c'est en s'appuyant sur des mythes ancestraux que le cinéaste donne à son récit sa véritable portée universelle. Le remplacement du frère de Jake Sully prend sens à travers la symbolique des jumeaux navajos, figures de l’équilibre et de la complémentarité. Contrairement aux jumeaux bibliques ou grecs, ces figures mythiques des peuples autochtones d'Amérique ne sont pas dominées par un principe unique : elles incarnent la dualité et la coexistence de forces opposées. Jake est à la fois scientifique et guerrier, homme et Na’vi, représentant d’une civilisation technologique tout en étant adopté par une culture en harmonie avec la nature.

Sa réincarnation en avatar fait écho à certains récits autochtones, comme « L’Histoire de Lynx », où la transformation physique accompagne une régénération spirituelle. En assumant sa nouvelle identité Na’vi, Jake vit une renaissance intérieure dans un corps différent, rétablissant l’équilibre symbolique perdu. Son arc narratif suit d'ailleurs le schéma du « Voyage du Héros » décrit par Joseph Campbell : présent dans de nombreuses cultures, ce récit raconte l'histoire d'un individu ordinaire qui, à travers l’épreuve et la transformation, renaît à lui-même. En embrassant la culture Na’vi, Jake accomplit une quête initiatique universelle qui rappelle les récits de passage et de révélation, de Gilgamesh à Star Wars.

L'introduction du clan Metkayina dans le second volet, avec le tatouage traditionnel (Tā moko) et les danses guerrières évoquant le Haka, illustre le concept de Kaitiakitanga (la protection sacrée de l'environnement). Dans cette cosmogonie, l'eau n'est pas une ressource, mais un ancêtre spirituel dont le Tulkun est le gardien. En faisant de l'océan le berceau et le tombeau de toute vie (« La voie de l'eau n'a ni commencement ni fin »), le film réactive le mythe océanien de la continuité entre l'homme et l'élément liquide.

Plus novateur, le concept de Pandora comme organisme vivant interconnecté renvoie au mythe de Gaïa, dans lequel la Terre est un être vivant dont tous les éléments sont interdépendants. Les Na'vis, liés à Eywa, personnifient l’harmonie possible entre culture et nature. Toute attaque contre cet équilibre entraîne des conséquences irréversibles : s’en prendre à Gaïa, c’est subir sa sanction.

Ce choix narratif traduit également un parti pris féministe, comme l'analyse Philippe Nassif (2) : « Que Cameron ait choisi de baptiser sa planète Pandora, du nom de “la première femme” chez Hésiode, nous signale ses intentions. Car dans Avatar, la puissance est du côté des personnages féminins. Grace Augustine et la Na’vi Neytiri jouent le rôle des prêtresses qui, dans les anciens cultes — le film puise beaucoup du côté des civilisations sumérienne et celte —, avaient une fonction initiatrice : ce sont elles qui appelaient l’homme à révéler qui il est. Avatar s’impose ainsi comme une réactualisation du mythe de la déesse-mère. »

Les événements dramatiques du film rappellent enfin le mythe de l'Apocalypse, celui d'une civilisation menacée par ses propres excès. Avatar suggère qu'une civilisation ne peut perdurer qu'en rétablissant son équilibre avec la nature — marquant la fin d'un modèle industriel extractiviste au profit de l'émergence d'une civilisation nouvelle.

Sur Pandora, les créatures ne sont pas que des produits de l'imagination, mais des symboles de l'interconnexion du vivant. Comme les animaux chimériques de la mythologie grecque, elles portent des leçons sur le respect des forces qui nous dépassent. Le Toruk, créature ailée imposante, symbolise la séparation initiatique, un rite de passage que l'Occident a traditionnellement transformé en combat mortel. L'Arbre-Maison des Na'vis rappelle les « Arbres-Monde » de nombreux mythes, reliant le ciel et la terre, symboles de la continuité entre les ancêtres et les vivants.

Repenser notre place dans le monde

Au-delà de ces références mythologiques, Avatar propose une refondation philosophique de notre rapport au monde. Le film mobilise les codes du conte — monde merveilleux, voyage initiatique, dimension morale, références mythologiques — pour aborder des enjeux contemporains tels que la crise écologique, la disparition des cultures autochtones et la quête de sens. Comme le souligne Philippe Nassif, il « nous invite à nous départir de l'ancien humanisme qui se définissait par l'idée d'émancipation : une attention exclusive pour l'humain détaché de ce qui fonde ses conditions d'existence. Et il prône ainsi un humanisme renouvelé par l'attachement de l'homme (ou plutôt son rattachement) à l'ensemble des êtres dont, en fait, il dépend. » (2)

Cameron semble partagé entre la nostalgie d'un monde perdu et la fascination pour le progrès. Le cinéaste nous immerge dans un régime sensoriel à part, où la technologie cinématographique sert un plaidoyer pour la nature. Pourtant, cette démarche porte en elle une ambivalence problématique. En transformant la lutte écologique en spectacle grandiose, il risque de réduire la complexité des enjeux réels en une opposition binaire entre humains destructeurs et Na'vis harmonieux, ou plus simplement entre bons et méchants soldats.


Sources :

  • (1) Gairin, Victoria. « Avec Avatar 2, on passe de l'Amazonie aux Maoris ». Le Point, 18 décembre 2022. Disponible sur : lepoint.fr.
  • (2) Nassif, Philippe. « “Avatar”, la fabrique d'un nouveau mythe ». Philosophie Magazine, n°38, mars 2010.

« Je crois que l’art de la suite, c’est de faire quelque chose de familier qui réconforte le public. Il faut lui donner ce qu’il veut et ce qu’il attend. Et ensuite aller au-delà de leurs attentes. » James Cameroun