Avatar, un conte moderne.
"En 2009, Avatar faisait la part belle à l'écologie, au féminisme, à la protection des peuples premiers, de leurs savoirs, de leurs ressources. Derrière l'incroyable succès, derrière la réussite plastique et narrative du blockbuster grondait la colère d'un réalisateur révolté par l'état du monde, inquiet de le voir courir à sa perte." Victoria Gairin *
Avatar se distingue par un univers immersif et riche en symboles et archétypes, où l'exolune Pandora, avec sa faune, sa flore et sa spiritualité, incarne une Nature préservée par ses habitants, les Na’vi. Il présente un monde fantastique et imprégné d'animisme, où les espèces vivent en communion les unes avec les autres, tout en évoquant la beauté et la diversité de notre propre Terre présente ou passée. Bien que Pandora orbite autour d'une géante gazeuse et diffère de la Terre en termes de taille et de composition, sa singularité repose sur l'imaginaire créatif des concepteurs du film et de son cinéaste.
"En usant d’une débauche technologique inouïe pour créer un luxuriant monde organique, il signale une possible renaissance du 7e art. Il parvient surtout à nous émerveiller : comme si nous entrions pour la première fois dans une salle de cinéma et que nous regardions un film avec le même enthousiasme natif que Jake Sully réincarné en Na’vi, se mettant à courir tel un enfant ivre d’une joie retrouvée." Philippe Nassif **
Le premier film de la saga Avatar reposait sur un schéma amazonien et chamanique, avec des éléments tels que l'Arbre des Âmes et l'interaction avec les ancêtres. Le deuxième volet, quant à lui, nous faisait découvrir le peuple de la mer, inspiré par les Maoris et les cultures polynésiennes. Le troisième volet s'intéressera à la guerre du feu, et mettra en scène le peuple des cendres. Alors que les deux premiers volets présentaient des humains sous un jour très négatif et des Na'vi de manière très positive, le troisième film inversera ces perspectives.
Au départ, l'intrigue se déroule dans un futur lointain (2154), où l'humanité exploite Pandora pour extraire un minerai précieux, l'unobtanium, essentiel pour résoudre une crise énergétique sur Terre. Incapables de respirer l'air de cette planète, les humains utilisent des "avatars", des corps biologiquement modifiés à l'apparence des autochtones Na'vi, pour interagir avec eux.
L'histoire suit Jake Sully, un ancien marine paraplégique, dont le frère jumeau décédé avait été sélectionné pour participer au programme Avatar. Une fois sur Pandora, l'avatar de Jake rencontre Neytiri, une Na'vi, dont il tombe amoureux et qui lui fait gagner la confiance de son clan. Au fil de son immersion dans la culture des Na'vi, Jake commence à remettre en question les motivations prédatrices de l'entreprise minière qui l'emploie. Il se retrouve alors tiraillé entre les intérêts de l'humanité et ceux de Pandora. Au fur et à mesure qu'il s'éveille à ce nouveau monde, il prend conscience de l'importance du lien intime et respectueux des Na'vi avec leur planète.
Dans le prologue du premier opus du blockbuster, les vues magnifiques du vaisseau spatial de la RDA (Resources Development Administration) en approche de Pandora et de la géante Polyphème captivent l'attention, presque au point de faire oublier que l'objectif principal de ses occupants est de piller l'unobtanium. Compte tenu du coût énergétique d'un voyage interstellaire et du contexte terrien de crise, il semble paradoxal qu'une telle mission soit autorisée, impliquant la navigation de ce colossal vaisseau sur 2,6 parsecs. En plus de cela, déployer des infrastructures, des engins de minage monstrueux, des mercenaires et des véhicules blindés pour semer destruction et dévastation dans un environnement préservé semble contredire l'éthique que l'on pourrait attendre d'une civilisation capable de voyager entre les étoiles. En revanche, si l'objectif est de nous faire réfléchir au danger de donner un tel pouvoir à une entreprise privée (la RDA était à l'origine une petite start-up de la Silicon Valley au 21e siècle), c'est réussi.
Avatar nous parle donc de notre avenir, et plus particulièrement de la conquête spatiale à laquelle nous serons peut-être contraints d'ici quelques siècles, si nous ne cessons pas de piller notre propre planète. Dans le prologue du deuxième opus, le film aborde de manière directe et percutante la colonisation de Pandora.
La critique avait reproché au premier Avatar un manque de densité narrative, mais la richesse visuelle était si impressionnante que combiner les deux aurait pu désorienter les spectateurs. En 2022, avec la sortie d’Avatar: La voie de l’eau, James Cameron exprime sa préoccupation face à l’impact croissant de l’humanité sur la nature, insistant sur la nécessité de « choquer les gens » pour éveiller une conscience écologique. Cette intention se manifeste particulièrement dans les scènes de chasse aux Tulkun, symbolisant les massacres de baleines et de dauphins. Les Tulkun, des créatures marines intelligentes et majestueuses, sont chassés pour une substance précieuse appelée Amrita, extraite de leur cerveau et qui a la capacité de stopper le vieillissement humain.
Le second film approfondit les critiques du premier en abordant frontalement l'impérialisme, la militarisation et l'exploitation des ressources naturelles. En 2170, les colons humains envahissent Pandora, attirés non seulement par ses ressources précieuses, mais aussi par la possibilité de s'approprier la planète elle-même. Leur quête de profit entraîne la destruction des habitats et l'extermination des créatures locales, autochtones compris. Alors que la Terre agonise, Pandora est vue comme une nouvelle terre d'accueil pour l'humanité.
Jusqu'à présent, James Cameron a mis en avant les Omaticaya et les Metkayina, deux clans pacifiques qui n'ont recours à la violence que lorsque les humains les agressent et que leurs écosystèmes sont menacés de destruction. Va-t-on assister à une série de luttes insurrectionnelles des Na'vi contre les humains ? Nous ne savons pas encore quelle direction prendra l'histoire dans les trois prochains films (2025 - 2029 - 2031), mais le cinéaste est en train de forger une nouvelle saga contemporaine. Pour saisir cette évolution, il est intéressant de voir comment il réutilise et réinterprète des éléments de mythes existants, en commençant avec ceux des peuples autochtones d'Amérique du Sud et du Nord, pour créer un récit mythique.
Jake Sully remplace son frère assassiné, un détail qui prend tout son sens à la lumière de l'omniprésence des jumeaux dans les mythes amérindiens, souvent liés à des notions d'équilibre. Ces mythes abordent également des thèmes de transformation et de régénération, reflétés par la propre métamorphose de Jake lorsqu'il rejoint son avatar Na'vi. En assumant cette nouvelle identité, Jake incarne une renaissance spirituelle dans un corps différent, rétablissant ainsi l'équilibre symbolique perdu.
L'arc narratif de Jake Sully suit de près le schéma du "Voyage du Héros" tel que décrit par Joseph Campbell, professeur et spécialiste de mythologies comparées aux États-Unis. Ce schéma, présent dans de nombreux mythes à travers les cultures, raconte l'histoire d'un individu ordinaire qui, à travers des épreuves et des transformations, devient un héros. Dans Avatar, Jake trouve un nouveau sens à sa vie en embrassant la culture des Na'vi. Ce parcours rappelle des histoires de transformation et de quête de soi présentes dans de nombreux mythes, de Gilgamesh à Star Wars.
Plus novateur, le concept de la planète Pandora comme un organisme vivant interconnecté fait écho au mythe de Gaïa, l'idée que la Terre elle-même est un être vivant, un système dont tous les éléments sont interdépendants. Cette idée est centrale dans la spiritualité des Na'vi, qui vénèrent Eywa, la déesse-mère qui régule l'équilibre de la vie sur Pandora.
"Que Cameron ait choisi de baptiser sa planète Pandora, du nom de “la première femme” chez Hésiode, nous signale ses intentions. Car dans Avatar, la puissance est du côté des personnages féminins. Grace Augustine et la Na’vi Neytiri jouent le rôle des prêtresses qui, dans les anciens cultes – le film puise beaucoup du côté des civilisations sumérienne et celte –, avaient une fonction initiatrice : ce sont elles qui appelaient l’homme à révéler qui il est. Avatar s’impose ainsi comme une réactualisation du mythe de la déesse-mère." Philippe Nassif **
Les événements dramatiques d'Avatar rappellent également le mythe de l'Apocalypse, où une civilisation se retrouve menacée de destruction à cause de ses excès. Le film suggère que pour qu'une civilisation puisse perdurer, elle doit rétablir un équilibre avec la nature, ce qui peut être perçu comme une allusion à la fin d'un modèle de civilisation (industrielle, extractiviste) et à l'émergence potentielle d'une nouvelle civilisation en harmonie avec l'environnement. Plus encore, il met en garde contre le fait que les humains, en s'opposant à leur planète, risquent de provoquer leur propre extinction.
Avatar est en réalité un récit mythique, qui a trait aux origines et aux fins de la civilisation.
Dans Avatar, les créatures de Pandora ne sont pas seulement des produits de l'imagination, mais aussi des symboles de l'interconnexion de la vie, de l'équilibre écologique, et de la lutte pour la survie dans un environnement hostile. Comme les animaux chimériques de la mythologie grecque, ces créatures portent en elles des leçons sur la nature, le pouvoir, et le respect des forces qui nous dépassent.
En réutilisant des mythes profondément ancrés dans l'inconscient collectif, James Cameron ne se contente pas de réaliser un film de science-fiction techniquement novateur ; il forge un conte philosophique pour le siècle nouveau, et nous immerge dans un régime sensoriel totalement à part.
"Il nous invite à nous départir de l’ancien humanisme qui se définissait par l’idée d’émancipation : une attention exclusive pour l’humain détaché de ce qui fonde ses conditions d’existence. Et il prône ainsi un humanisme renouvelé par l’attachement de l’homme (ou plutôt son rattachement) à l’ensemble des êtres dont, en fait, il dépend." Philippe Nassif **
Cependant, il y a une certaine ironie dans cette démarche, l'idée même d'un blockbuster numérique écologique étant paradoxale. James Cameron, en mettant en avant l'harmonie des Na'vi avec la nature, s'appuie sur des technologies de pointe pour créer et transmettre ce message. Le contraste entre le message de retour à des valeurs fondamentales, à une compréhension profonde et instinctive de la nature, et l'utilisation massive d'outils numériques pour produire ce film souligne une ambivalence inhérente à notre époque. D'un côté, nous aspirons à un monde plus connecté à la nature, inspiré par ces mythes anciens, tandis que de l'autre, nous nous appuyons sur des technologies avancées pour concrétiser ces visions. Ainsi, Avatar incarne cette dualité, illustrant comment les récits d'antan peuvent être réinventés à l'aide des innovations modernes, tout en questionnant notre propre relation avec la nature et la technologie.
Sources :
(*) In : extrait de l'article de Victoria Gairin
(**) In : extraits de l'article de Philippe Nassif : “Avatar”, la fabrique d'un nouveau mythe - issu de Philosophie Magazine n°38 mars 2010
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"Le voyage du héros" de Joseph Campbell : recette d'un film à succès
Une sélection d'articles pour en savoir plus sur Avatar :
« Avec Avatar, je voulais emmener les gens dans un monde fantastique qui serait ancré dans une réalité émotionnelle ». James Cameron