Un psaume pour les recyclés sauvages, de Becky Chambers

Un psaume pour les recyclés sauvages, de Becky Chambers
@ Feifei RUAN

"Un Psaume pour les recyclés sauvages" de Becky Chambers est une novella de science-fiction optimiste se déroulant dans le futur post-industriel d'un autre monde.

Et si, face au programme établi, un détour s’imposait ?

Il y a des siècles, les robots de Panga, une lune verdoyante et paisible orbitant autour de la planète Motan, ont accédé à la conscience et abandonné leurs outils ; ils sont tous partis dans la forêt et nul ne les a jamais revus ; depuis lors, ils se sont fondus dans les mythes de cette humanité extra-terrestre.

Nous suivons Dex, moine d’Allalae (dieu des Petits Conforts) en pleine crise existentielle. Étouffant dans les murs de la ville, Dex décide de partir sur les routes et devient moine de thé, menant sa roulotte de village en village, apportant écoute, thé et réconfort. Deux ans plus tard, bien que renommé pour son talent et sa bonté, Dex se retrouve à nouveau en plein désarroi. Iel décide alors de rallier un ancien ermitage dans une région sauvage et reculée.

À la croisée des chemins, la vie de Dex est bouleversée par l'arrivée d'un robot qui, fidèle à une très ancienne promesse, vient prendre des nouvelles des humains. Omphale a une question à poser et ne rejoindra les siens qu'une fois satisfait de la réponse : « De quoi les gens ont-ils besoin ? ».

Cette vaste interrogation mènera le duo à arpenter sentiers et canopées à la rencontre d'une humanité nouvelle. Et voilà le moine suivi à la trace par un être de métal tout émerveillé par ce qu’il découvre en fréquentant cette personne faite de chair et de sang. Intrigué, Dex va petit à petit nouer une relation d'amitié avec Omphale.

Omphale n’a rien d’un robot tel qu’aurait pu se l’imaginer Dex. Il est curieux envers tout ce qui l’entoure et pas très bon en math. C’est un personnage très attendrissant et, par ces capacités illimitées à l'émerveillement, d'une grande humanité.


La possibilité d'une société désirable

Sur Panga, les habitants ont adopté une religion polythéiste qui n'est pas basée sur des dogmes stricts, mais sur les Perspectives qui permettent d'envisager leur monde et leur avenir. Leur vie est centrée autour d'un panthéon de Six divinités, apportant une dimension sereine et harmonieuse à leur existence.

« Les icônes des dieux-parents prirent les premières leur place sur la petite table, au centre d’un piédestal en bois taillé tout exprès. Une sphère parfaite représentait Bosh, le dieu du Cycle, qui protégeait tout ce qui vivait et mourait. Grylom, dieu de l’Inanimé, était un tétraèdre, en hommage à son royaume de roche, d’eau et d’atmosphère. Entre les deux se dressait la fine barre verticale de Trikilli, dieu des Liens : la chimie, la physique, la charpente invisible. Sous leurs parents, à même la table, Dex plaça les enfants-dieux : un geai-soleil pour Samafar (dieu des Mystères), une abeille à sucre pour Chal (dieu des Constructions) et, bien sûr, l’ourse d’été pour Allalae. »

Il n'y a qu'une seule ville sur cette lune, mais c'est une ville où il fait bon vivre, le centre du système nerveux de Panga, son cœur.

« Une haute merveille architecturale tout en courbes brillantes et lumières colorées, reliées par l’entrelacs des rails aériens et des allées piétonnes, couvertes de feuillages qui débordaient des balcons et des terre-pleins ; chaque inspiration charriait un parfum d’épices, de nectar, de linge qui séchait dans l’air pur. La ville était un lieu paisible, harmonieux, prospère. Une perpétuelle harmonie où l’on créait, fabriquait, grandissait, essayait, riait, courait. Où l’on vivait. »

Autour, différentes communautés villageoises reliées par des routes participent à ce mode de vie durable ; elles se nomment les Forestes, les Confluents, les Côtes et les Prairies. Leurs habitants ont délaissé plus ou moins la technologie et l'animation permanente de la Ville.

Quant à la société dans laquelle évolue Dex, elle est marquée par l'inclusivité et le respect, une sorte d'utopie où tout le monde semble égal et où l'homme a enfin appris à vivre en harmonie avec la nature qui l'entoure, tout en observant attentivement certaines limites. Bien que la technologie soit moins sophistiquée qu'auparavant, elle demeure présente. Les usines ont disparu au profit des FabLabs, et, à travers de nouvelles formes d'artisanat valorisant le travail bien fait, la technique est redevenue un outil pour l'épanouissement de l'être humain.

En plaçant cette utopie harmonieuse sur un monde lointain, c'est de notre futur que Becky Chambers parle : peut-être nous dit-elle qu'il faudra demain oublier la Terre telle que nous la connaissons pour créer une planète entièrement nouvelle : Panga reprend le nom de notre Pangée originelle, ce supercontinent formé à l'ère du carbonifère il y a 180 millions d'années. Alternativement, l'auteure pourrait également faire référence à un passé lointain en suivant la théorie silurienne, qui suggère que des civilisations avancées se sont développées sur Terre il y a des millions d'années, mais ont finalement connu des effondrements ou des extinctions, ce qui nous menace aujourd'hui.

Panga est un monde qui a frôlé la catastrophe, mais où l'humanité a réussi à se rattraper à temps. Des générations ont vu les rivières se dépolluer et les arbres repousser. Les robots ont constaté que le monde guérissait, mais ils ignoraient comment progressait la guérison de leurs anciens maîtres. La rencontre entre le moine et le robot est une première pour les deux espèces depuis leur séparation.

« La vision optimiste d’un monde fertile et beau qui s’est reconstruit après avoir frôlé la catastrophe. L’explorer aux côtés des deux personnages principaux est une expérience fascinante et délicieuse. » Martha Wells

Une quête de sens optimiste

Nous avons aimé la novella pour son message universel sur le sens de la vie.

Dans l'ermitage en ruine de Froncerf, Omphale partage avec Dex ces mots : « Tu n’as pas besoin de justifier ni de mériter ton existence, tu as le droit de te laisser vivre. »

L'optimisme et la bienveillance transparaissent à travers les deux personnages principaux.

D'ailleurs, nous recommandons vivement la lecture de ce conte philosophique original et pertinent, qui dépeint un monde industriel dépassé et abandonné. Il suggère que pour trouver la simplicité d'une société pacifique post-industrielle et changer les rapports au pouvoir et à la nature, il faudra abandonner et renoncer à beaucoup de choses... Y compris l'argent, l'arrogance masculine et une part d'ego.

Nous avons également été séduits par la beauté de l'histoire, la manière positive dont elle représente l'altérité, le respect des différences culturelles et la richesse qu’elles apportent aux individus. De plus, les questionnements théologiques et écologiques qu'elle soulève ajoutent une profondeur supplémentaire à cette œuvre captivante.

« On songe rarement à la SF pour avoir une lecture bienveillante, tendre et ouverte sur le monde. Pourtant, c'est ce que Becky Chambers fait ! Avec Dex et Omphale, on s'interroge avec esprit et sans jugement sur la notion d'humanité, du vivre ensemble, du labeur et de l'échange équitable. » Librairie Octopus

Le succès de ce premier tome du diptyque "Histoires de moine et de robot", avec plus de 10 000 exemplaires vendus, témoigne de l'intérêt du public pour un optimisme bienvenu. Comme le souligne Alice Carabédian dans son essai "Utopie Radicale": "Il est urgent pour notre santé mentale de forger des images positives et de ne pas laisser la SF se réduire aux seules visions dystopiques".

Becky Chambers ne s’y trompe pas quand elle ouvre sa novella par cette simple épigraphe : « Pour vous qui avez besoin de souffler. »


Becky Chambers a vécu en Islande et en Écosse avant de s'installer dans le nord de sa Californie natale où elle y élève des abeilles.

En trois romans, elle a été trois fois finaliste du prix Hugo, deux fois du prix Arthur C. Clarke, une fois du prix Locus. Elle a obtenu le prix Julia Verlanger en 2017 pour ses deux romans L'Espace d'un an et Libration.


Si vous voulez en savoir plus sur ce livre, paru chez L'ATALANTE, on vous recommande la lecture de l'article du Chroniqueur :
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