Semiosis, de Sue Burke

Semiosis, de Sue Burke
@ Illustration de MANCHU - ALBIN MICHEL, coll. Albin Michel Imaginaire

On a oublié, sur Terre, combien les plantes sont indispensables à la vie, fournissant nourriture, vêtements, ustensiles et éléments de construction, mais aussi les molécules entrant dans la composition des médicaments, et jusqu’aux substances altérant la conscience. La cinquantaine de colons qui fuient la famine, la pollution et la guerre, a l’occasion de le réapprendre en débarquant sur un monde neuf qu’ils rebaptisent Pax, avec la ferme intention de bâtir une utopie. Ils ont pour cela rédigé une Constitution dont on découvre des extraits au fil des chapitres, basés sur le partage et l’équilibre.

Dès le départ, la fragile communauté est mise à mal suite à des empoisonnements et des récoltes abîmées, sur un des versants du campement seulement. Ils sont en outre confrontés à la dangerosité de certaines espèces, comme des aigles agressifs ou des limaces acides. Les noms des animaux sont sans rapport avec les espèces terrestres. Ainsi, les lions sont pourvus de pattes antérieures capables d’abattre un arbre, les limaces sifflent et bourdonnent, et les éponges souterraines palpitent. Les fippochats sont eux d’aimables commensaux prompts à jouer, dont les dépouilles servent de terreau aux graines des lianes qui se font la guerre entre Est et Ouest.

Il s’avère rapidement que les végétaux constituent la forme dominante du vivant et que les animaux sont domestiqués et exploités à divers niveaux. Considérés comme des intrus cherchant à s’insérer dans l’écologie d’une planète depuis longtemps à l’équilibre, les humains doivent apprendre à fournir des services en échange des produits nécessaires à leur survie.
Ils ne sont pas les seuls à s’être soumis aux lois végétales : la découverte des ruines d’une civilisation leur apprend qu’il y eut des prédécesseurs. On ignore toutefois ce que sont devenus les Verriers, ainsi nommés en raison des artefacts ouvragés qu’on a retrouvés.

Étalé sur six générations, chacune faisant l’objet d’un chapitre, le roman narre la construction de cette utopie en lien avec la nature. Bien que fuyant la violence, les colons conservent les vieux réflexes qui poussent au mensonge et à l’autoritarisme lors de divergences de vues. La punition plutôt que le pardon, l’éradication d’une menace plutôt que la recherche d’une entente, se manifestent lors de tout événement tragique. Chaque génération y répond à sa façon. Ce sont autant d’histoires qui s’imbriquent autour de notions philosophiques réactualisées par le contexte très particulier de cet écosystème.

Le renversement de perspective est aussi pertinent qu’habilement mené. En rappelant que les plantes communiquent entre elles via le rhizome, le pollen ou les composés volatils et parfumés, ainsi que leur capacité à percevoir leur environnement grâce aux phototropines et à développer des défenses chimiques, Sue Burke amène à modifier le regard anthropocentriste de l’humain. Le bambou intelligent, plus instruit, plus âgé, presque immortel, qui considère les humains comme des créatures inférieures à apprivoiser et à manipuler via la composition de drogues, apparaît comme une menace : bien que proposant une coopération sur la base de bénéfices mutuels, les humains sont nettement en position d’infériorité. Comme le rappelle le bambou : « L’égalité n’est pas un fait, comme la longueur du jour. L’égalité est une idée, une croyance, comme la beauté. »

Bien qu’étalée sur la durée d’un siècle, l’intrigue se déploie harmonieusement autour de ses axes principaux. Riche et dense, Semiosis est une réflexion intelligente sur la recherche des fragiles équilibres garantissant la paix et l’harmonie. Un premier roman d’une belle qualité.

Critique de Claude ECKEN reproduite avec son aimable autorisation. Première parution : 01/10/2019 dans Bifrost 96. Mise en ligne le : 13/11/2023. In : https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146597952


L’américaine Susan Carol Burke, alias Sue Burke, est d’abord une éditrice, journaliste et surtout traductrice reconnue dans le milieu littéraire de la science-fiction et de la fantasy. Semiosis et sa suite non encore publiée par chez nous Interference sont ses deux premiers romans. Le premier volume a d’abord été publié en 2019 dans la collection Imaginaire d’Albin Michel et il est disponible depuis 2022 dans une très abordable édition du Livre de Poche.


« Sue Burke a pris une excellente décision en mettant l'accent sur la colonie plutôt que sur les personnages individuels. » Mogsy
« Une œuvre contemporaine essentielle qui mêle, avec une finesse digne de Margaret Atwood, l’écosystème merveilleux d’Avatar et l’énigme extraterrestre de Premier Contact. » Stephen Baxter
« Semiosis n'est pas seulement un roman fouillé et savant sur la botanique notamment, c'est aussi un bel essai de réflexion sur notre rapport à la nature, aux anciens (ceux qui ont vécu sur Terre) et aux autres espèces. Un ouvrage plein de surprise, un livre de chevet pour tous ceux qui rêvent d'un autre monde, d'une autre planète. » Pierrick Fay