Une prise de conscience
Pour que la Terre reste un monde vivable pour les générations futures. #6/8
La Terre en état d'alerte climatique
En octobre 2023, une équipe internationale de chercheurs dirigée par William Ripple de l'université d'État de l'Oregon a alerté sur l'état critique de la Terre dans un rapport publié dans la revue BioScience, mettant en lumière la contradiction entre la prospérité matérielle et la détérioration écologique.
Le rapport intitulé "The 2023 state of the climate report: Entering uncharted territory" résume une situation menaçante : la planète Terre est confrontée à une crise climatique sans précédent, marquée par des conditions météorologiques extrêmes et des records climatiques battus à un rythme alarmant. Les activités humaines émettant des gaz à effet de serre ont conduit à des températures mondiales records, des océans historiquement chauds, une fonte des glaces sans précédent et des vagues de chaleur extrêmes.
Les scientifiques soulignent que ces événements sont les signes d'une instabilité dangereuse et que "nous nous aventurons dans un territoire climatique inexploré". Ils ont identifié 35 "signaux vitaux planétaires", parmi lesquels 20 atteignent aujourd'hui des niveaux records - un chiffre confirmé par plusieurs sources indépendantes, bien que certaines études évoquent parfois des nombres légèrement différents selon la méthodologie utilisée.
Le rapport présente des données sur les émissions de gaz à effet de serre, la consommation d'énergie, la perte de couverture arborée mondiale, les effets sur les océans et les glaciers, ainsi que les impacts sur la vie marine et les écosystèmes. Il note que de nombreux records climatiques ont été battus "par d'énormes marges" en 2023, particulièrement concernant les températures océaniques et l'étendue de la glace de mer.
Malgré certains progrès dans la réduction de la déforestation et l'augmentation de l'utilisation d'énergies renouvelables, les émissions de carbone continuent d'augmenter, les combustibles fossiles restant dominants dans le mix énergétique mondial. Le rapport met également en évidence une saison d'incendies extraordinaire au Canada qui a produit des émissions de dioxyde de carbone sans précédent.
Le rapport met en évidence l'urgence d'une action immédiate pour lutter contre le changement climatique, soulignant que la situation actuelle représente une menace existentielle pour l'humanité. Les scientifiques appellent à une prise de conscience et à des actions politiques décisives pour atténuer les effets du changement climatique et protéger la planète pour les générations futures. Toutefois, il convient de noter que ce rapport s'inscrit dans une série d'alertes climatiques régulières depuis 2019, et que les évaluations des "signaux vitaux" peuvent varier selon les équipes de recherche et leurs méthodologies spécifiques.
De la performance à la robustesse : repenser notre rapport au vivant
Les impasses de la société performante
Pour répondre aux besoins en partie imaginaires du citadin occidental du 20e siècle, l'adaptation de la Terre a été optimisée à l'extrême. De nouvelles propositions émergent chaque jour pour un mode de vie toujours plus déconnecté de la nature, avec une surenchère de nouveaux besoins alimentée par des outils connectés à Internet de plus en plus exigeants en ressources. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : le numérique représente déjà 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, un chiffre qui pourrait doubler d'ici 2025. En France, 10% de notre consommation électrique est liée au numérique.
L'adaptation de la Terre à l'Homo numericus s'amplifie avec une foi inébranlable au détriment des écosystèmes. Nous avons franchi ce que Johan Rockström nomme les "limites planétaires" : des seuils à l'échelle mondiale à ne pas dépasser pour que l'humanité puisse vivre dans un écosystème sûr. Paradoxalement, les efforts pour lutter contre le réchauffement climatique et la pollution servent parfois à justifier une production accrue de technologies prétendument salvatrices.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Apathiques, nous assistons à une compétition entre différentes formes de capitalisme, alors qu'il serait urgent de tourner le dos à ce modèle de croissance socio-économique basé sur la performance.
La robustesse comme alternative : les leçons du vivant
Pour envisager notre futur dans un monde fluctuant, le biologiste Olivier Hamant, directeur de recherche à l'INRAE et directeur de l'Institut Michel Serres, propose de sortir du culte de la performance en s'inspirant des principes de la nature et du vivant. Ses recherches sur la croissance et la forme des plantes l'ont conduit à identifier des principes fondamentaux : la circularité, la coopération et l'adaptabilité.
Mais qu'est-ce que la robustesse exactement ? Contrairement à la performance qui vise l'optimisation maximale d'un paramètre donné, la robustesse privilégie la stabilité face aux perturbations. Là où la performance recherche l'efficacité à court terme, la robustesse construit la durabilité à long terme. Cette approche trouve ses racines dans l'observation du vivant : les écosystèmes les plus stables ne sont pas les plus "performants" mais les plus diversifiés et interconnectés.
Olivier Hamant propose donc la robustesse comme réponse opérationnelle aux turbulences sociales, financières, sanitaires, écologiques, énergétiques ou géopolitiques. Passer d'une société performante à une société robuste constitue certes une révolution copernicienne, mais aussi une voie stimulante qui démine l'éco-anxiété grandissante face aux constats qui peuvent écraser.
Vers une mise en œuvre concrète
L'injonction de sobriété, souligne Olivier Hamant, n'est pas opérationnelle quand elle s'adresse sans discernement à une population qui n'a rien plutôt qu'à une population riche et privilégiée. Comme il l'explique : « si on commence par la robustesse et à techno-diversifier, on va devenir sobre, presque sans s'en rendre compte ».
Concrètement, cela signifie privilégier les circuits courts en agriculture, développer l'économie circulaire, favoriser la réparation plutôt que le remplacement, diversifier nos sources d'énergie et nos modèles économiques. Il ne s'agirait pas de renoncer à l'efficience ou à la sobriété, mais de ne les mettre en œuvre que dans le cadre de solutions robustes.
La robustesse se construit sur de la circularité et de la réutilisation matérielle, mais aussi sur la richesse des interactions et de la collaboration pour résoudre les problèmes. Faire de la robustesse, c'est sortir de la pensée réductionniste qui valorise l'appauvrissement des interactions pour aller vers la pensée systémique qui se construit au contraire sur l'abondance des interactions.
L'urgence d'un changement de paradigme
Malgré les obstacles, la véritable libération requiert un changement non seulement dans les structures tangibles de la société, mais aussi dans les idées, les croyances et les perspectives qui les sous-tendent. Cela implique une remise en question des représentations et des modes de perception afin d'évoluer vers des alternatives plus équilibrées et durables.
Pour le dire avec les mots de l'historienne Barbara Duden : « Il (Ivan Illich) avait compris que ce n'est pas tant des techniques et des institutions qu'il faut nous libérer, mais des représentations et des modes de perception qu'elles génèrent ».
La transition écologique n'envisage pas encore de telles orientations politiques et sociétales. Et pour cause : le pays qui initierait des changements allant vers la décroissance deviendrait la cible immédiate des marchés financiers, surtout s'il est fortement endetté avec des capitaux étrangers. Les citoyens restent souvent figés dans le statu quo, sans remise en question fondamentale des individus et des institutions qui les dirigent, avec un référentiel commun disloqué.
Pourtant, on attendrait des responsables politiques qu'ils rétablissent le contrôle sur l'avenir, au-delà des égoïsmes nationaux. Quant aux scientifiques et aux ingénieurs, on attendrait d'eux qu'ils reprennent le contrôle sur leurs pratiques, en cherchant à travailler avec les processus naturels plutôt qu'à les remplacer.
Le pouvoir de l'imaginaire collectif
La construction d'imaginaires partagés et leur persistance sur plusieurs générations sont essentielles pour réaliser un futur positif dans notre société. L'histoire nous le montre : Cyrano s'élève dans la Lune, Jules Verne et H.G. Wells l'ont décrochée.
Le rêve et l'utopie sont les enjeux premiers qui rendent demain possible. La conquête spatiale en témoigne : il a fallu rêver la Lune pendant des siècles avant que l'humanité ne pose effectivement le pied sur son sol. Les œuvres visionnaires, de Cyrano de Bergerac à Jules Verne, en passant par les romans de science-fiction du 20e siècle, ont nourri l'imaginaire collectif qui a rendu possible l'aventure spatiale.
De même, imaginer et raconter une société robuste, collaborative et en harmonie avec le vivant constitue un préalable indispensable à sa réalisation. Il s'agit désormais de renier le credo de la performance et de réinsérer la technosphère dans le cycle du vivant.
Lecture recommandée : "Antidote au culte de la performance. La robustesse du vivant" d'Olivier Hamant (Gallimard, 2023).

La technique devait libérer, elle asservit

« Jacques Ellul a vu avant les autres que le développement technique ruine l’homme intérieur. Il a été sensible à la porosité entre la technique et l’homme privé, au caractère anthropophage de la technique. »
Dissiper les incertitudes

« Jamais le monde ne fut frappé de manière convergente par cinq exigences nouvelles liées à des chocs que notre monde a connus ou connaîtra. (...) C’est ce mélange de chocs exogènes et endogènes qui rend l’avenir si imprévisible. Le mot « incertitude » sera à la base de toutes nos réflexions et c’est là tout l’intérêt de ce Cahier des Rencontres Économiques d'Aix-en-Provence. Comme vous le savez, les Rencontres 2023 se sont voulues explicitement optimistes en choisissant l’intitulé « Recréer l’espoir ». Mais avant de se lancer dans cette ambition très risquée, il nous fallait commencer dès à présent à réfléchir au sujet et les huit textes rassemblés ici traitent de cet océan de difficultés à appréhender l’avenir. Ils sont surtout la base d’une réflexion très rigoureuse sur ce que nous savons et ce que nous ne savons pas, contrairement à ce qu’il nous arrive d’entendre ou de lire, car l’on nous donne parfois le sentiment d’être totalement capables de dessiner les contours du nouveau monde ». Jean-Hervé Lorenzi

La publication de ces Cahiers a été rendue possible grâce au soutien de L'Hémicycle : https://lhemicycle.com/
Pour une autre Terre - suite #7/8 :
