La 7e saison de Black Mirror : Déjà dans nos têtes ?

La 7e saison de Black Mirror : Déjà dans nos têtes ?
@ Charlie Brooker et Netflix

Black Mirror est une série britannique dystopique, dont la septième saison est diffusée sur Netflix. Depuis 2011, son créateur Charlie Brooker interroge les technologies contemporaines en les poussant dans leurs retranchements, jusqu’à en révéler les dérives dissimulées sous leur apparente banalité. À travers la série, il met en scène le piège du tout-technologique dans lequel nous nous sommes peu à peu enfermés — souvent sans en percevoir pleinement les conséquences.

Un miroir brisé, aux multiples reflets.

Ses inspirations puisent dans la télévision de son enfance, notamment la série américaine des années 1960 La quatrième dimension, mais également « dans les films de science-fiction en général, et les Monty Python », le célèbre collectif d'humoristes britanniques. Charlie Brooker l’admet volontiers : « Je suis quelqu’un d’anxieux. Il y a presque un côté thérapeutique pour moi dans cette série. »

Lors d'une conférence, il observe : « Nous sommes aujourd’hui bien plus saturés de technologie qu’au début de la série, il y a quatorze ans. Et c’est utile pour l’écriture, car il existe désormais une multitude de situations étranges et réelles pouvant inspirer des épisodes. » Lui qui vient de la comédie rappelle le principe de base de son écriture : « extrapoler, exagérer, aller dans l’extrême. »

Le showrunner a trouvé un nouvel équilibre pour Black Mirror. Alors que la saison précédente penchait vers le surnaturel et se terminait sur une impasse apocalyptique, la septième saison marque un retour décisif à l’ADN de 2011. Avec quelques nuances cependant : fini la prédominance des écrans de télévision, des smartphones, des caméras connectées et des réseaux sociaux. Nous sommes en 2025. Les puces connectées au cerveau, l’intelligence artificielle et la réalité virtuelle font désormais partie du quotidien des personnages.

La nouveauté de cette saison marque l’aboutissement d’une évolution amorcée dès la troisième saison : l’invasion de l’intime. Les premières saisons de Black Mirror mettaient en scène des dispositifs où des humains utilisaient la technologie pour surveiller et contrôler autrui — à distance, par le biais de systèmes de notation sociale, d’implants ou de dispositifs punitifs. Mais la série va désormais plus loin. Il ne s’agit plus d’espionner, de punir ou de manipuler depuis l’extérieur : la technologie s’immisce dans les esprits, altère les processus cognitifs et redéfinit les identités de l’intérieur.
Pour qu’une machine puisse réellement saisir les nuances de l’esprit humain, elle doit établir une connexion intime avec le cerveau — un lien qui dépasse la simple interaction entre utilisateur et outil. Cette intrusion est totale, qu’elle soit subie ou consentie. Pour les humains, c’est le prix à payer pour continuer à vivre en société ; pour les machines, c’est la récompense qui leur permet d’accéder à un simulacre d’humanité (épisodes 3 et 5).

Ces technologies de l'intime redéfinissent les perceptions et la réalité elle-même (épisode 2). La personnalité est remplacée par une version « optimisée », calibrée pour la non-violence ou la conformité (épisode 4). Les émotions, autrefois spontanées, deviennent modulables via des algorithmes capables d'en atténuer, d'en amplifier ou d'en détourner les effets. Les pensées les plus privées sont transformées en données monnayables, tandis que les valeurs morales elles-mêmes sont réécrites pour s'aligner sur des logiques commerciales (épisode 1). Enfin, le "moi" se divise, se démultiplie en copies, et celles-ci finissent par fusionner entre elles (épisode 6).

Si ces technologies évoluent, c'est pour mieux cibler les émotions et renforcer les addictions. Les jeux vidéo et la pornographie ne suffisent plus à capter l'attention ou à monétiser le temps : d'autres formes de contrôle ont pris le relais. Charlie Brooker imagine le pire : une violence insidieuse dissimulée sous des intentions bienveillantes, comme les soins médicaux ou l'assistance psychologique. Mais il entrevoit aussi le meilleur : un accompagnement dans le deuil et une aide pour mieux comprendre les autres, et peut-être soi-même.

Six invasions de l'intime.

Les épisodes mettent en avant des personnages confrontés à la brutalité du capitalisme, aux pulsions de vengeance de figures géniales mais émotionnellement instables, ou à l’attachement déconcertant d’intelligences artificielles trop humaines.

E01 ("Des gens ordinaires") : Amanda devient un produit publicitaire après une opération du cerveau, son esprit ne lui appartient plus.

Dans cet épisode à la fois émouvant et tragique, un couple ordinaire se retrouve piégé par le système d'abonnement nécessaire pour soigner Amanda, jusqu'à accepter une forme d'humiliation consentie pour régler la facture mensuelle. Heures supplémentaires, dettes, renoncements : tout souligne la violence d'un modèle privatisé où le simple fait de vivre devient un luxe

E02 ("Bête noire") : Depuis ses retrouvailles avec une ancienne camarade de classe, Maria ne peut plus se fier à la réalité. Verity, jadis victime de harcèlement, aurait-elle désormais le pouvoir de réécrire le monde à sa guise ?

L'épisode aborde la manipulation de la réalité et de la vérité, des préoccupations centrales à notre époque de "fake news", de désinformation et de polarisation politique. Deux versions de cet épisode, légèrement différentes, sont diffusées aléatoirement par Netflix. Charlie Brooker a expliqué vouloir illustrer une forme contemporaine de détournement cognitif (gaslighting, en anglais), cette manipulation psychologique qui pousse la victime à douter de sa propre perception de la réalité : un piège diabolique pour les spectateurs mis dans la situation du personnage de Maria.

E03 ("Hôtel Rêverie") : Dans un remake en réalité virtuelle d’un classique hollywoodien des années 1930, l’actrice Brandy Friday partage l’affiche avec Clara, une intelligence artificielle conçue à partir des souvenirs d’une star disparue, Dorothy Chambers. Dans ce décor numérique reconstitué en 3D, Brandy se glisse dans le costume parfaitement taillé du héros Alex Palmer.

Ce qui frappe, c’est l’inversion subtile qui se produit : c’est la machine qui semble bouleversée, hantée par l’écho d’une vie qu’elle n’a jamais vécue. Ce n’est plus l’humain qui se perd dans la machine, mais Clara qui se trouble au contact de Brandy.

E04 ("De simples jouets") : les Thronglets ("la Foule" en français), petites créatures virtuelles d'un jeu vidéo qui semblent conscientes, reprogramment le comportement et les émotions de Cameron, qui devient un homme "amélioré" selon leurs standards.

Et si la menace ne venait plus d’un Big Brother oppressif, mais d’un ange gardien numérique, sûr de savoir mieux que nous ce que nous devrions être ? Le Léviathan de la Tech parviendra-t-il alors à métamorphoser l'Humanité en une version 2.0 plus apaisée et coopérative ?

E05 ("Eulogie") : Après le décès de Carol, l'amour de jeunesse de Philip, une IA conçue pour les cérémonies funéraires recompose ses souvenirs et lui révèle qu’il avait mal interprété la fin de leur histoire.

L’IA devient thérapeute, révèle la vérité et l’aide à se libérer d’une colère enfouie depuis des décennies. Une manière de rappeler que la technologie peut aussi servir d'outil d'exploration personnelle — et ne pas toujours se refermer comme un piège.

E06 ("USS Callister : Au cœur d'Infinity") : Des copies de personnes réelles tentent de s'échapper de leur prison virtuelle. Du champ d’astéroïde de Star Wars au cœur de la Matrice d'Infinity, Nanette Cole et l'équipage de l'USS Callister devront affronter 30 millions de joueurs actifs pour survivre.

Netflix a choisi de donner une suite à l’épisode culte USS Callister (2017), pastiche grinçant de Star Trek. Riche en rebondissements, cette nouvelle mouture multiplie les clins d’œil à des univers familiers de la pop culture — de Seul au monde à Severance, en passant par Matrix et même Real Housewives. Et pour couronner le tout : une fin en apparence heureuse, où l’émancipation d’un personnage repose sur la reconfiguration de son identité… et sur l’enfermement des autres.

Conclusion.

Black Mirror revient en 2025 avec une septième saison marquée par une nouvelle forme d’intimité technologique. IA empathiques, réalités virtuelles piégées, fusion homme-machine… Ici, les émotions deviennent le principal terrain d’expérimentation, bien plus que les prouesses techniques elles-mêmes. Entre nostalgie, satire et vertige identitaire, Black Mirror parvient à se renouveler sans perdre sa lucidité ni sa puissance critique.

Les interrogations ne portent plus sur l’opportunité du numérique, mais sur les modalités de notre coexistence avec lui. Comment préserver notre identité face à l’intrusion croissante de ces technologies dans nos vies privées, nos relations — et jusqu’au cœur de nos pensées ?

Selon la comédienne Emma Corrin, qui apparaît dans Hôtel Rêverie, cette série « devrait continuer pour toujours ».