Semailles humaines
« Est-il mieux d'adapter l'homme aux planètes que les planètes à l'homme ? »
Alors que, dans la science-fiction, la colonisation spatiale repose souvent sur la terraformation — une technique de géo-ingénierie qui vise à rendre les planètes habitables en modifiant leur environnement — l'auteur américain James Blish propose une approche radicalement différente dans son recueil Semailles humaines : la pantropie, qui consiste à adapter la biologie humaine pour permettre aux individus de survivre et d’évoluer dans des environnements extraterrestres variés, qu’ils soient différents en termes d’atmosphère, de gravité, ou de composition chimique.
La pantropie, ou l'adaptation biologique
« (La pantropie) a permis à l’homme de conquérir des milliers de planètes qui, sans elle, lui seraient demeurées fermées. Elle a accru dans des proportions considérables nos chances de devenir les maîtres de la Galaxie, de l’occuper dans sa quasi-totalité sans voler une seule planète à quiconque. Une occupation sans expropriation – et sans effusion de sang (…) » (p.215 de l’édition J’ai lu de Semailles humaines).
"Fix-up à l'ancienne, ces quatre nouvelles des années 1950 esquissent une épopée : l'ensemencement de la galaxie par des humanités modifiées, adaptées aux conditions spécifiques de planètes diverses. Les situations sont elles aussi fort variées : premiers post-humains, sur Ganymède, persécutés à cause de leur différence ; société arboricole, archaïque, lancée à la conquête de son monde malgré ses blocages religieux ou à cause d'eux ; micro-univers créé dans une flaque après un naufrage ; retour sur une Terre dévastée d'humains adaptés, d'ailleurs encore en butte au racisme des descendants du modèle originel... Le message immédiat est évident : l'unité de l'humanité, par-delà les apparences physiques. Cela avait quelque résonance dans l'Amérique de l'époque, et n'en manque toujours pas ici et maintenant. Mais la conquête se fait par extermination des espèces concurrentes, dinosauriens ou prédateurs aquatiques, et si cela relève d'une légitime défense ce n'en est pas moins un génocide... ce qui est beaucoup moins sympathique. Un procureur sourcilleux ajouterait de menues incohérences, une confiance abusive dans l'inné, l'idée que des êtres microscopiques se comporteraient et raisonneraient grosso modo comme des humains parce qu'ils en posséderaient les gènes, etc. Mais après tout, même si la SF est un genre plutôt matérialiste, un auteur a bien le droit, comme un feu président, de croire « aux forces de l'esprit ». Et puis, honnêtement, cela fait de bons textes, sans fioritures ni graisse inutile là ou d'autres commettraient une dodécalogie : on ne peut que se réjouir de les voir de nouveau disponibles en poche, alors que l'éditeur précédent les avait laissés en déshérence. Ceux qui les découvriront passeront un bon moment, ceux qui les avaient lus il y a quelques dizaines d'années aussi." Éric VIAL - Première parution : 1/5/2007 dans Galaxies 42 - Mise en ligne le : 24/2/2009
L'idée de recourir à la bio-ingénierie pour adapter les humains à d'autres environnements est un thème récurrent dans la science-fiction, particulièrement en littérature. On le retrouve chez les "extros" dans Hypérion, les "Crakers" dans Oryx et Crake, les "aquatiques" dans Les Enfants de Poséidon, voire même chez les Rifteurs de Peter Watts. Au cinéma, cette approche reste plus rare, bien qu'il existe des des similitudes entre Avatar et Titan. Dans ces deux films, le personnage principal, interprété par Sam Worthington, cherche à quitter une Terre devenue peu recommandable pour s'envoler dans les étoiles, en passant par une métamorphose pour y parvenir.
"Est-il mieux d'adapter l'homme aux planètes que les planètes à l'homme ? Est-ce « plus écologique » ? James Blish est certainement très sincère lorsqu'il l'affirme dans le livre quatrième, consacré au retour à la Terre et à une longue réflexion sur l'ensemencement. Il a été aussi, sans doute, un des premiers dans la science-fiction à dénoncer le saccage de la Terre... Mais jamais l'idée que ses « manipulations techniques hautement élaborées » pourraient être incroyablement dangereuses ne semble l'effleurer. Ou peut-être s'en moque-t-il. L'important, c'est la colonisation. Il faut préserver l'objet à coloniser, les planètes ; tant pis si l'on perd en route, par accident, quelques milliards de vaisseaux humains..." Michel Jeury, in Fiction 285 (Première parution : 1/11/1977) Mise en ligne le : 25/9/2011.
L'adaptation cybernétique
Dans la science-fiction, les cyborgs présentent des besoins physiologiques qui varient en fonction de leur conception. Certains d’entre eux, partiellement biologiques, conservent des organes humains essentiels comme le cerveau ou le cœur, et nécessitent donc un apport en nourriture et en eau, même s'il reste réduit par rapport à un humain. D’autres, plus proches de la machine, sont conçus pour fonctionner avec des sources d'énergie artificielles (comme des batteries ou l’énergie solaire), ce qui les dispense de tout besoin alimentaire ou hydrique.
Un cyborg boit et mange peu, voir pas du tout. Il n'est même pas obligé de respirer de l'air. Alors finalement, remodeler le corps humain aux conditions extrêmes d'un environnement extraterrestre ne serait-elle pas l'approche la plus efficace pour coloniser une autre planète ? En 1976, Frederik Pohl écrit Homme-Plus et nous fait partir à la conquête de Mars.
"Frederik Pohl nous raconte avec beaucoup de finesse, d'intelligence, de sensibilité et de métier l'aventure du « premier Martien » , le cosmonaute Roger Torraway que l'on a transformé chirurgicalement et électroniquement : presque un cyborg. La psychologie de Torraway est étudiée avec la plus grande attention : ce n'est pas un simple vaisseau humain comme les héros de Blish. Ces derniers se sentent bien dans leur peau : après tout, ils sont nés comme ça. [Dans le livre premier des Semailles humaines,] Sweeney rêve de devenir un homme comme les autres ; mais pas longtemps. [Dans Homme-Plus,] La transformation est plus difficile à supporter. « Ça n'est pas chose facile pour un être humain en chair et en os, que d'accepter l'idée qu'une partie de sa chair va lui être arrachée pour être remplacée par de l'acier, du cuivre, du plastique, de l'aluminium et du verre. Nous pouvions voir que Torraway ne se comportait pas de manière très rationnelle » (p. 71 ). Ici, le sujet du roman est bien Torraway et son corps. Le corps prend parfois plus d'importance que Torraway ; mais il reste sujet, ne devient objet que par renversement de point de vue, et on s'intéresse plus à ce qu'il est qu'à ce qu'il fait. D'autre part, l'auteur est très conscient du danger qu'il y a à manipuler le matériau humain (bien qu'on ne fasse pas d'ingénierie génétique avec Torraway)." Michel Jeury, in Fiction 285 (Première parution : 1/11/1977) Mise en ligne le : 25/9/2011.
Le corps humain n'est pas conçu pour résister aux conditions extrêmes de Mars : la faible gravité, les radiations cosmiques intenses et la durée des voyages spatiaux mettent en péril la survie de l'organisme. Envisager une colonisation martienne — Elon Musk évoque un objectif d'environ un million d'individus — exige une meilleure compréhension de nos capacités physiques et mentales, mais aussi des solutions pour repousser les limites de l'adaptation humaine. Qu'il s'agisse d'implants, de prothèses technologiques ou de modifications génétiques pour s'adapter à un tel environnement extraterrestre, les récits de James Blish et Frederik Pohl font écho, aujourd’hui plus que jamais, à certaines promesses illusoires du transhumanisme.
La terraformation, ou ailleurs comme sur la Terre
La terraformation consiste à transformer l'environnement d'une autre planète en un milieu plus proche de celui de la Terre, potentiellement habitable par l'homme sans dépendre de systèmes de soutien de vie artificiels. Parmi les planètes accessibles avec notre technologie, Mars serait la seule candidate crédible pour un tel projet. Bien que son atmosphère soit très fine (la pression atmosphérique est 170 fois moindre que celle de la Terre) et composée majoritairement de dioxyde de carbone, sa distance avec la Terre, sa taille, et l'existence passée d'eau en surface en font une cible privilégiée pour les partisans de la terraformation.
Épopée et fresque sociale, La Trilogie de Mars (1992-1999) de Kim Stanley Robinson décrit les efforts de plusieurs générations de colons pour terraformer Mars en vue de rendre la planète habitable pour l'humanité.
« L'art narratif de Kim Stanley Robinson ne s'exerce pas qu'à filmer une société avec les yeux de plusieurs protagonistes. Il instruit son public d'une foule de renseignements astronomiques ; il l'éblouit par de vertigineuses descriptions de paysages ; il lui montre les miracles technologiques qu'accompliront les ingénieurs de demain. La visite des canyons martiens, profonds de trois kilomètres, le survol des volcans géants de Tharsis (les plus hautes montagnes du système solaire) ou l'arrimage du prodigieux ascenseur de l'espace reliant la planète à l'un de ses satellites valent à eux seuls le voyage ». François Rouiller - Noosfere (Première parution : 24/12/1994) Mise en ligne le : 10/11/2000
Néanmoins, trente ans après l'écriture de cette trilogie, la conquête de Mars doit-elle encore puiser dans l'imaginaire débridé d'un auteur de science-fiction, aussi brillant soit-il, pour devenir réalité ?
Aujourd'hui, les avancées scientifiques montrent qu'il est très peu probable que nous puissions rendre Mars véritablement semblable à la Terre. Les conditions atmosphériques, le manque de magnétosphère protectrice et les ressources limitées en eau et en oxygène posent des défis insurmontables à une terraformation à grande échelle. Le remodelage de Mars, sa terraformation fort bien décrite sur le papier par des auteurs de SF, ressort davantage de la fiction que de nos possibilités technologiques.
Un avant-poste martien
Depuis des décennies, les missions d'exploration robotique sur Mars se multiplient, laissant entrevoir la possibilité d'un atterrissage humain sur la planète rouge dans un avenir proche. Il est probable que les premiers explorateurs, qu'ils soient Américains ou Chinois, fouleront le sol martien dans les années 2040, une mission qui verra 4 ou 6 astronautes ou taïkonautes entreprendre un voyage aller et retour de plus de deux ans.
Si personne, à ce stade, ne peut prédire avec certitude comment se formera et évoluera une éventuelle société martienne, il est tout de même possible d'imaginer un avenir où un avant-poste humain s'établirait sur la planète rouge. Les ingénieurs auraient pour premier objectif de localiser des régions où l'eau, sous forme de glace, serait facilement accessible. Avant toute mission humaine, des rovers robotisés et des drones seraient déployés pour analyser en détail ces zones : confirmer la présence d'eau, évaluer la densité du sol, et préparer un site d'atterrissage sécurisé.
Les annonces de la NASA, SpaceX ou du CNSA pourraient ponctuer les étapes historiques de cette implantation. Par exemple, vers les années 2030, on pourrait lire sur X (anciennement Twitter) : "SpaceX annonce avec fierté un moment clé dans l'exploration spatiale : ses premiers robots humanoïdes ont atterri avec succès sur Mars. Ces robots, conçus pour préparer l'arrivée des futures missions humaines, collecteront des données essentielles et commenceront l'installation des infrastructures nécessaires à la colonisation. Leur autonomie et leur capacité d'adaptation représentent un pas de géant vers l'objectif ultime de rendre l'humanité multiplanétaire."
Ces robots assureraient la construction des premières structures martiennes à partir des ressources locales, comme une cité troglodytique ou un habitat semi-enterré protégé des radiations, puis la mise en route des systèmes énergétiques et de soutien de vie. Une première communauté humaine, composée d'environ 100 à 150 individus, pourrait alors s'installer, incluant des membres en âge de procréer pour assurer une croissance démographique. Durant les premières années, les colons se concentreraient principalement sur leur survie, la préservation de leur santé mentale et physique, tout en espérant que la Terre ne les oublie pas avant que leur base ne devienne entièrement autonome.
Pour que cette avant-poste devienne autosuffisant, il faudrait trouver des solutions durables pour nourrir la population. Les gènes des plantes pourraient être modifiés pour maximiser l'absorption du CO₂, et générer davantage d'oxygène, une résistance accrue aux radiations solaires ou la production de nutriments essentiels à partir de sources alimentaires limitées. Une alternative à l'élevage traditionnel du bétail est la production de viande cultivée en laboratoire. Celle-ci est obtenue à partir de cellules animales, permettant de produire de la viande sans recourir à l'abattage, grâce à des bioréacteurs. En plus des plantes polyvalentes et des viandes cultivées en laboratoire, l'alimentation sur Mars devrait s'appuyer principalement sur des cultures hydroponiques, l'élevage de crevettes et de poissons, ainsi que la consommation d'algues et même d'insectes ! Ces derniers représentent une source de protéines particulièrement intéressante, tout en étant bien plus efficace sur le plan des ressources.
Au fil du temps, cet avant-poste pourrait même s'étendre et devenir une colonie pérenne. Le "nombre minimum d'individus d'une espèce nécessaire à un endroit pour qu'elle puisse perdurer" est très variable d'une espèce à l'autre, mais il a souvent été estimé autour de 1000. Ces colons pourraient-ils, au fil de l’évolution, devenir des Martiens idéaux ? Chris Impey, professeur d’astronomie à l’université d’Arizona, prévoit que le processus naturel d’évolution pourrait s’accélérer avec une colonie martienne. Leur corps pourrait devenir plus grand et mince en raison de la gravité martienne, qui représente environ un tiers de celle de la Terre. De plus, ils pourraient perdre leurs poils dans un environnement contrôlé et dénué de poussière. Les Martiens seraient différents des Terriens, car on ne peut pas s'adapter sans changer.
Le "véritable martien" n’existera peut-être jamais vraiment. Mais à très long terme, après avoir amorcé un processus de terraformation qui aura duré des milliers d'années, des êtres, que l'on peut imaginer à moitié cyborgs à moitié humains, s'éloigneraient alors des autres terriens autant que nous nous sommes éloignés des primates. Nous pourrions assister à l'émergence d'une nouvelle espèce humaine, différente de la nôtre, avec des ancêtres communs. Nous pourrions même ne plus pouvoir nous reproduire ensemble.
Points de vue :
Pour l’instant, la Terre est notre seul berceau.
Pour Michel Jeury, Semailles humaines peut aussi être interprété, à contrario, comme "un ardent plaidoyer contre l'acharnement des hommes à transformer la Terre pour l'adapter à un certain type humain, dont les besoins sont en partie imaginaires : le citadin occidental du XXe siècle".