L'I.A. et son double, de Scott Westerfeld

L'I.A. et son double, de Scott Westerfeld
@ Illustration de Jean-Michel PONZIO

Comment les robots de science-fiction nous réapprennent notre humanité.

Dans un avenir lointain, l'humanité a étendu son emprise au-delà de son Amas Natal grâce à l'Expansion. Cependant, de nouveaux venus, les artificiels, commencent à prendre leur place dans la société aux côtés des êtres humains d'origine biologique. Autrefois asservies par les biologiques, ces machines intelligentes ont acquis la reconnaissance de leurs droits une fois qu'elles ont franchi le seuil de Turing, marquant l'accès à la conscience. Dès lors, elles ne peuvent plus appartenir à quiconque et deviennent des personnes indépendantes et responsables de leurs actes.

Dans cette histoire à la fois troublante et puissante sur la conscience et l'individualité, Scott Westerfeld saisit l'essence même de ce qui rend la science-fiction si captivante, mais cela se fait au prix d'une certaine brutalité envers ses personnages. En utilisant la technologie comme outil d'analyse, il soulève des questions fondamentales sur la nature humaine - dans ce cas, ce qui nous rend conscients - et quel rôle joue la mémoire dans notre humanité.

L'histoire débute de manière poétique sur une planète habitée par des formes de vie indigènes, semblables à des titans de pierre, dont les mouvements sont d'une lenteur géologique. Ce prologue énigmatique met en lumière la relation entre l'intelligence artificielle (I.A.) de navigation d'un vaisseau interstellaire et la fille du propriétaire du vaisseau, Pasque. Cette relation particulière est renforcée par l'imagination débordante de la jeune fille, qui se crée des histoires sur les motifs et les intentions de ces créatures évoluant sur une échelle de temps différente. L'I.A. du vaisseau, à la fois navigateur et mentor attitré de Pasque, finit par se laisser séduire et apprécier ces récits. A tel point que la vérité des histoires devient une partie intégrante de l’I.A., au même titre que les protocoles de protection et les axiomes logiques qui sont enfouis dans ses codes depuis l’origine.

Dans l'univers de l'Expansion où tout peut être reproduit et synthétisé, y compris la psyché, l'artificiel progresse inexorablement sur l'échelle de Turing grâce à la relation devenue symbiotique avec Pasque. En répondant à sa curiosité insatiable pour les mystères de la vie et en devenant finalement une source d'expérience pour la jeune fille, il émerge à une pleine conscience de lui-même.

Après avoir revêtu une enveloppe corporelle de colosse, hommage minéral et technologique à la statuaire antique et au visage paisible de Bouddha, il se nomme désormais Chéri. Il est le Chéri de l'évolution, capable de modifier son corps selon ses besoins tout au long de sa vie, à la différence d'un être humain.

Deux cents ans plus tard, les capacités uniques de Chéri l'ont conduit à devenir négociant en œuvres d'art, ou plutôt un agent spécialisé dans l'authentification d'originaux auprès de galeries. Il va enquêter sur une œuvre récente de Robert Vaddum, un sculpteur génial dont le travail le fascine et l'obsède depuis des décennies, mais censé être mort depuis sept ans lors d'un attentat catastrophique sur la planète Malvir. Durant le trajet vers le monde de Vaddum, Chéri rencontre Mira, une femme dont l'histoire personnelle a été dérobée et remplacée par une carrière d'assassin.

Mira agit pour le compte de mystérieux commanditaires qui communiquent avec elle par interface cérébrale directe, ou de façon plus exotique par l'entremise d'un terminal public, d'un jouet ou d'un réveil muni d'une puce vocale. Dotée d'une arme dévastatrice, capable de prendre n'importe quel aspect ou de soumettre n'importe quelle victime, elle tue ceux qui représentent une menace pour ses employeurs. Mira recherche, pour l'éliminer, celui qui semble avoir cloné Robert Vaddum, avec ses souvenirs et sa conscience de soi - une chose impensable dans une société où bon nombre d'I.A. anciennes et influentes tiennent la simple hypothèse de leur duplication pour une atteinte à leur individualité, statut conquis de haute lutte.

Avant d'arriver sur Malvir, les certitudes de Mira vont être ébranlées au cours de son idylle avec Chéri. Les violences consenties, sublimées par les implants sexuels du cyborg et sa maîtrise absolue des limitations physiques humaines, déclenchent d'étranges rêves qui pourraient être les souvenirs retrouvés de Mira, la clé pour débloquer sa vie avant de devenir une tueuse de haute technologie.

Ces deux êtres hors du commun, Chéri et Mira, ont des missions qui vont se croiser, voire s'opposer, dans un space opera esthétique où les chefs-d’œuvre sont des armes, et les armes des chefs-d’œuvre. Une relation brutale et érotique s'instaure entre les deux amants, entre l'humain et l'inhumain, remettant finalement en question leur nature en tant qu'entités distinctes. Ils vont vivre une histoire d'amour extrême et contre-nature, fusion parfaite mais destructrice entre la chair et le métal.


L’I.A. et son double (Evolution’s Darling), Scott Westerfeld, 1999
En Poche, Éditions J’AI LU, coll. Science-Fiction, 2004, 352 pages.

Si vous voulez en savoir plus sur ce livre, on vous recommande la lecture de l'article du Dino Bleu :
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