Le New Space Opera (NSO)
"Pour ceux qui ont succombé aux charmes d'Edmond Hamilton, de Leigh Brackett, de Poul Anderson, de Jack Vance et de bien d'autres, la perspective d'un horizon où ne cessent de se lever de nouvelles étoiles est irrésistible." (1)
Le space opera américain
Le terme « space opera » était à l'origine une expression péjorative. Proposé par Bob Tucker dans son fanzine Le Zombie en 1941, il s'inspirait des « horse operas » (westerns de série B) et des « soap operas » pour désigner de « mauvaises copies des romans d'aventures projetées dans l'espace ». À l’époque, aucun auteur n’aurait apprécié que ses œuvres soient associées à cette étiquette. Les pulps comme Amazing Stories ou Astounding publiaient souvent des récits standardisés d'aventures sidérales mêlant romance et conflits extraterrestres.
Pourtant, si l’on a souvent prétendu que le space opera trouvait ses racines dans le western, le genre relève plus fréquemment du roman de cape et d'épée, de la comédie antique (version péplum) et du récit d'aventure maritime. Les grandes fresques interstellaires de l’époque se caractérisaient par un romantisme échevelé et projetaient souvent le monde des années 1940-1960 dans l'espace, avec ses guerres coloniales, ses héros au machisme assumé et ses extraterrestres servant de faire-valoir à la supériorité terrienne.
À son âge d’or, le genre incarne les mythes du héros américain et de la nouvelle frontière. Il met en scène des pionniers, des hommes d'affaires et des soldats de la Navy partant à l'assaut des étoiles lointaines.
Cette dimension épique, caractéristique de la science-fiction américaine, est particulièrement évidente dans les œuvres fondatrices du genre. Triplanetary d'E.E. « Doc » Smith, d'abord sérialisé en 1934 puis réécrit et publié en livre en 1948, en établit les bases avec ses Lensmen, une force de police galactique dotée de pouvoirs quasi surhumains. Legion of Space (1934) de Jack Williamson s'inspire des Trois Mousquetaires de Dumas et articule son intrigue autour de schémas narratifs anciens : la belle princesse du conte qu'il faut sauver de l'antre du dragon, le récit d'initiation avec le passage symbolique à l'âge adulte qui transforme le héros, l'héritage à s'approprier. En 1949, The Star Kings d'Edmond Hamilton crée un pont entre la littérature populaire du XIXe siècle et la science-fiction moderne, préparant le terrain pour des sagas comme Star Wars.
Diversification et contestation (1965-1970)
En 1965, Jack Vance prend le titre au pied de la lettre dans Space Opera et décrit avec ironie les aventures d'une troupe d'opéra itinérante à travers la galaxie. Aux États-Unis, à la même époque, le genre se diversifie avec l'apparition de parodies, comme Bill, the Galactic Hero (1965) de Harry Harrison, et d'œuvres plus expérimentales, notamment celles de Samuel R. Delany (Babel-17 (1966) et Nova (1968)).
Ce phénomène touche également le domaine audiovisuel avec la série télévisée Star Trek (1966-1969), qui suit les aventures du vaisseau spatial USS Enterprise (NCC-1701) et de son équipage. La série, menacée d'annulation après ses deux premières saisons, bénéficia néanmoins d'une prolongation d'un an grâce à la mobilisation de ses fans.
En Grande-Bretagne, du milieu des années 1960 au début des années 1970, la New Wave a cherché à recentrer la science-fiction sur l'exploration des futurs proches et des espaces intérieurs. "Une nouvelle génération d'écrivains émerge, qui rejette en bloc tout ce qui caractérise (à leurs yeux) le space opera de l'âge d'or : la pauvreté de l'écriture, l'ambition de divertir ou d'émerveiller sans rien faire d'autre, le culte des armes et la glorification de la guerre, les personnages unidimensionnels, l'emphase mise sur les sciences dures". (2)
"Les anthologies Space Opera et Galactic Empires, éditées par Brian Aldiss en 1974 et 1976, ont marqué probablement la fin d'une époque tout en relançant l'intérêt du public britannique pour cette littérature souvent qualifiée de « sans prétention »". (3)
Star Wars ou la croisée des étoiles (1977)
En 1977, avec la sortie du premier Star Wars, George Lucas souhaitait répondre au pessimisme de la spéculative fiction des années 1970 par un discours résolument optimiste. Dans une interview de l'époque, celui-ci explique son approche : « Quand j'étais gamin, je lisais beaucoup de SF, mais pas vraiment les auteurs techniques et scientifiques comme Isaac Asimov. J'étais plus intéressé par Harry Harrison et une approche fantastique et surréelle du genre. C'est avec ça que j'ai grandi ». Il cite également Le Cycle de Mars d'Edgar Rice Burroughs ou le comic strip Flash Gordon d'Alex Raymond, « le genre de choses qu'on lisait avant que le mot science prenne le dessus sur le mot fiction et que tout devienne si sérieux ». Naturellement, son film reflète cette approche : Lucas a toujours insisté sur le fait que Star Wars relevait davantage du conte de fées spatial que de la science-fiction rigoureuse, se déroulant « dans une galaxie lointaine, très lointaine » avec ses propres règles, sans prétention à la vraisemblance scientifique.
L'émergence du New Space Opera (1980-2000)
"Au début des années 80, la science-fiction présente plusieurs tendances. D'abord, un space opera essoufflé qui cherche à se renouveler à travers des œuvres comme La Mécanique du Centaure (1975) de M. John Harrison. Ensuite, la hard science, dont Un paysage du temps (1980) de Gregory Benford est emblématique. Enfin, le cyberpunk, fusion du roman noir et des nouvelles technologies émergentes, dont Neuromancien (1984) demeure l'archétype. En à peine dix ans, le New Space Opera (NSO) naîtra de la confluence de ces trois courants.
Le space opera fournira le théâtre, la hard science lui imposera sa rigueur et ses contraintes qui sont une exigence nouvelle, née d'une suspension de l'incrédulité restreinte. Il n'est plus question de simplement poser que le progrès, auquel nul ne croit plus, a permis la fabrication d'un moteur PVL, parce que tous les gens qui ont une once de culture scientifique, dont les lecteurs de S-F, savent que d'après la physique actuelle, il est impossible d'aller plus vite que la lumière. Le NSO dépouillera enfin le cyberpunk de ses noirs oripeaux punk pour les recycler sous formes d'intelligences artificielles, de nanotechnologie, de biotechnologie avec clones, immortels et consorts, y compris la fameuse « Singularité » chère à Vernor Vinge, aux neurosciences et autres cogniticiens qui se résument en « Il nous est impossible de prévoir et de décrire quelque chose qui soit plus intelligent que nous ne le sommes » et constitue une sorte d'horizon des événements conceptuel — le grand jeu de la S-F actuelle consistant quant à lui à la circonvenir". (4)
Les deux courants principaux du NSO
"Avec Timelike Infinity (1992), de Stephen Baxter, la S-F avait rarement offert une perspective aussi étendue tant dans l'espace que dans le temps. Le cycle des Xeelees relève du nouveau space opera dont il existe deux courants principaux. Le NSO postmoderne dont Hyperion de Dan Simmons est un bon exemple et dont les œuvres de Samuel R. Delany sont les précurseurs. Et le NSO classique, représenté, entre autres, par ce cycle des Xeelees dont les précurseurs sont le cycle du Centre Galactique de Gregory Benford et La Paille dans l'œil de Dieu, co-écrit par Larry Niven et Jerry Pournelle en 1974, qui constituait le dernier grand space opera classique". (4)
"En 1989, le cycle d'Hyperion de Dan Simmons représentait sans doute l'un des space operas les plus ambitieux au sens moderne du terme. Non seulement par le grand nombre de thèmes qu'il traite avec virtuosité (parmi lesquels le voyage dans le temps, l'intelligence artificielle, le cyberespace, la quête religieuse, la menace extraterrestre, la guerre interstellaire et bien d'autres), mais aussi par sa qualité littéraire, sa dimension visionnaire et métaphysique, sa mise en abîme des textes poétiques de John Keats, ou encore son travail sur la structure romanesque (le premier tome des Cantos d'Hyperion s'inspire des Contes de Canterbury de Chaucer)". (5)
Classique par sa structure, son souffle épique et son univers technologique foisonnant, mais postmoderne par ses questionnements métaphysiques et sa réinvention du mythe de la résurrection et du contact avec l’inconnu, l'énorme trilogie The Night's Dawn (1996-1999) de Peter F. Hamilton a constitué un jalon dans la science-fiction de cette fin de siècle, comme l'avait fait Hyperion au début de la décennie. L'auteur britannique, qui revendiquait l'héritage d'Edmond Hamilton et de ses Star Kings, jouait sur tous les registres du space opera en mélangeant fantastique (retour des morts), roman noir (Al Capone comme antagoniste) et science-fiction (habitats et vaisseaux bio-techs, cyborgs, xénos, technologie tau zéro, etc.). Ayant retenu les leçons d'Asimov, de Van Vogt, de Frank Herbert et de Dan Simmons en matière d'histoire future et de civilisation galactique, ce créateur d'univers ne manquait pas d'humour et ne craignait pas de se moquer, non sans quelque perversité, du genre qu'il illustrait.
Les héritiers britanniques
De la fin des années 1980 aux années 2000, une nouvelle génération d’écrivains britanniques — parmi lesquels Iain M. Banks, Alastair Reynolds, Stephen Baxter, Peter F. Hamilton, Eric Brown ou Charles Stross — a profondément renouvelé la science-fiction mondiale, et le space opera en particulier. Cette « école » britannique, qui comprend également Ken MacLeod, Liz Williams, Neal Asher et Richard Morgan, s’est distinguée par une approche hard science du genre. Reynolds y apporte notamment la rigueur scientifique de l’astrophysicien qu’il fut avant de se consacrer pleinement à l’écriture.
Les romans du NSO mettent en scène des personnages plus ambivalents qu’héroïques. L’action s’y déploie à l’échelle galactique, dans des univers d’une richesse inouïe, où les systèmes politiques, sociaux et technologiques sont minutieusement élaborés. Entre explorations spatiales et conflits interstellaires, ces mondes lointains abritent une mosaïque de civilisations extraterrestres. Souvent empreintes de noirceur, ces intrigues révèlent des dynamiques politiques d’une grande complexité. C’est dans Consider Phlebas, premier roman du cycle de la Culture d’Iain M. Banks (1987), que cette vision prend toute sa mesure, le titre empruntant son inspiration à un vers du poème The Waste Land de T. S. Eliot.
Le terme New Space Opera a trouvé sa consécration officielle en août 2003 dans le magazine Locus. Des auteurs tels que Ken MacLeod, Paul McAuley, Gwyneth Jones, M. John Harrison et Stephen Baxter y ont contribué dans un dossier spécial consacré au genre. Ils y décrivent ce mouvement comme une littérature « stimulante, sombre et souvent dérangeante, mais aussi romantique, excitante et située dans des décors grandioses ». Cette filiation revendiquée avec les précurseurs du genre prolonge la fonction même du space opera : offrir un horizon cosmique à l’humanité.
L'ère post-humaine (2000-2020)
En 1993, Vernor Vinge introduit le concept de « singularité technologique » dans son essai The Coming Technological Singularity.
"La Singularité peut être vue comme la fin de la civilisation humaine et le début d'une nouvelle. Dans son essai, Vinge s'interroge sur les raisons de la fin de l'ère humaine, et soutient que les humains se changeraient pendant la Singularité en une forme supérieure d'intelligence. Après la création d'une intelligence surhumaine, les humains tels que nous ne seraient nécessairement, d'après Vinge, que des formes de vie de moindre importance en comparaison.
D'autres arrivent au même résultat via les manipulations génétiques, via la fusion/symbiose avec des extra-terrestres ou via de nouvelles théories mathématiques. Dans tous les cas, nous avons affaire à une métamorphose fondamentale, un changement de paradigme qui englobe toute l'humanité. Et les auteurs de NSO n'hésitent pas à se projeter bien au-delà de la singularité, à une époque où notre espèce, sous sa forme actuelle, a cessé d'exister". (3)
Identités fragmentées et corps interchangeables
Les individus existent désormais en diverses variétés post-humaines, souvent aussi étrangères les unes aux autres que les anciens « monstres aux yeux pédonculés » l'étaient aux humains ! Ils possèdent des pouvoirs quasi-divins, peuvent modifier leur apparence et leur sexe à volonté, et jouissent d'une durée de vie quasi-immortelle grâce à la sauvegarde numérique de la conscience.
Publié en 2001, La Cité du Gouffre (Chasm City) d'Alastair Reynolds s'inscrit dans le cycle des Inhibiteurs (Revelation Space, à partir de 2000). Ce roman autonome, tout en restant lié aux autres volumes de la série, offre un space opera spectaculaire teinté de thriller et de cyberpunk, où l'imagination ne cesse de se surpasser. Sur la planète Yellowstone, la brillante capitale Chasm City, ravagée par la Pourriture Fondante — une peste qui s'attaque aux nanomachines et implants dont dépendaient ses habitants — se divise entre quartiers préservés des élites et zones en ruine, où le peuple subit les conséquences du désastre technologique.
Au-delà du suspense et de la traque vengeresse du protagoniste, Reynolds soulève des questions vertigineuses sur l'identité : suffit-il de s'approprier les souvenirs d'un autre pour devenir cet individu ? Qu'est-ce qui fonde véritablement la personnalité humaine dans un univers où la mémoire elle-même peut être altérée ou manipulée ?
Dans la série Orphelins de la Terre (2002-2003) de Sean Williams et Shane Dix, l'humanité du XXIIᵉ siècle a franchi un cap radical : certains humains n'ont plus de corps. Transformés en engrammes — des reproductions électroniques de leur esprit —, ils voyagent dans l'espace à la recherche de vie extraterrestre. Ces personnages numériques post-singularité incarnent une condition nouvelle où l'unité traditionnelle corps-esprit a volé en éclats. Un même individu peut se fragmenter en multiples entités, chacune demeurant « lui » tout en évoluant séparément, à l’image de Caryl Hatsis et de ses nombreuses versions. Cette multiplication de l'identité n'est plus au cœur d'une intrigue visant à restaurer la « normalité », mais constitue un postulat de base, un élément du décor caractéristique du NSO.
Avec Accelerando (2005) de Charles Stross, l'espèce humaine évolue à un rythme tel que les générations successives deviennent mutuellement incompréhensibles. La notion même d'humanité vacille dans un univers où la conscience peut être dupliquée, modifiée, fusionnée. Dans Glasshouse (2006), les protagonistes changent de corps comme de vêtements, adoptent de nouvelles identités et vivent des milliers d'années. L'identité devient fluide et modulable, remettant en question nos conceptions les plus intimes de l'individualité. Le corps devient simple interface : enveloppe jetable, matériau malléable. Il n'a plus rien de sacré. On le sacrifie, on l'use comme un outil, on le régénère ou le duplique. Le post-humain s'est affranchi de la tyrannie de la chair.
House of Suns (2008) d'Alastair Reynolds pousse la fragmentation de l'individu encore plus loin. Dans ce lointain futur, Abigail Gentian s'est fractionnée en un millier de clones masculins et féminins, formant la Lignée Gentiane. Campion et Purslane, deux de ces clones, naviguent dans la Voie Lactée pendant des millénaires, témoins de civilisations qui émergent et s'effondrent comme des saisons. Cette multiplication pousse à l'extrême l'incompréhension mutuelle : les différentes branches de l'espèce deviennent littéralement étrangères les unes aux autres.
Face à l'incompréhensible
Cette idée était déjà au cœur de la SF post-1960, mais le NSO pousse le concept jusqu'au vertige : l'humanité y découvre des artefacts extraterrestres si avancés qu'ils défient toute compréhension. Les « Big Dumb Objects » — ces structures colossales, muettes, inintelligibles — dépassent ce simple mystère : ils remettent en question la capacité même de l'intelligence humaine à appréhender l'univers.
Dans Hypérion, par exemple, les énigmatiques Tombeaux du Temps — « d’immenses structures menaçantes » qui semblent remonter le cours du temps — deviennent la destination du pèlerinage entrepris par les personnages.
Dans Orphelins de la Terre, l'équipage d'un vaisseau d'exploration stationné au-dessus d'une planète inhabitée assiste à un phénomène stupéfiant : en un rien de temps, de mystérieux visiteurs érigent dix tours orbitales jointes par un tore. À l'intérieur, d'inimaginables présents attendent l'humanité — un vaisseau supraluminique, un musée des cultures galactiques, une combinaison d'immortalité. Cette générosité apparente dissimule pourtant un piège : les cadeaux des « Fileurs » se révèlent être une véritable boîte de Pandore.
Ce mystère change encore d'échelle avec des technologies extraterrestres opérant au niveau moléculaire. The Expanse, commencée en 2011 avec Leviathan Wakes, introduit la protomolécule, une technologie alien régie par des lois qui excèdent le cadre de la compréhension humaine. Cette nanomachine, décrite comme « un ensemble d'instructions flottantes conçues pour s'adapter et guider d'autres systèmes de réplication », n'est ni vraiment vivante ni purement mécanique. Elle utilise les rayonnements ionisants comme source d'énergie et agit comme un « nanofluide » capable de reprogrammer la matière organique. La série, créée par Daniel Abraham et Ty Franck sous le pseudonyme de James S. A. Corey, montre une humanité technologiquement avancée, mais impuissante face à une force qui la dépasse.
Repenser l'Empire
Dès les années 1950, des œuvres classiques posent les jalons d'une réflexion sur l'évolution des empires galactiques. Cordwainer Smith dépeint dans son Instrumentality of Mankind une civilisation galactique à un moment charnière, où l'Instrumentalité décide de démanteler la société stable qu'elle avait créée pour reconstruire les anciennes cultures. Isaac Asimov, avec Fondation (1951), transpose la chute de l'Empire romain à travers sa psychohistoire prédictive, tandis que Jack Vance imagine dans Gaean Reach (à partir de 1963) des systèmes politiques variés, souvent instables ou décadents. La saga Flandry (1965), de Poul Anderson, se déroule dans un Empire terrien galactique trop vaste pour être gouverné efficacement. Enfin, Frank Herbert, avec Dune (à partir de 1965), propose une autre forme d’épopée interstellaire — bien que le cycle soit souvent classé comme planet opera. Son Imperium galactique est caractérisé par une structure féodale, des luttes de pouvoir autour d’une ressource vitale, l’Épice, et une forte emphase sur la religion, l’écologie et l’évolution de l’humanité sous la contrainte d’un pouvoir centralisé.
Dans le cycle de la Culture (1987-2012), Iain M. Banks met en scène une civilisation où la notion même d'empire devient obsolète. Par sa conception des habitats spatiaux quasi autonomes, il efface de ses récits le pouvoir centralisé lui-même. Sa civilisation pan-galactique fonctionne sans gouvernement hiérarchique, et ses citoyens post-humains évoluent dans une abondance gérée par des IA bienveillantes.
Dans celui des Inhibiteurs (Revelation Space), des factions autonomes dispersées, des entités politiques post-humaines temporaires, des organisations fluides se forment et se dissolvent selon les besoins.
À l'inverse, Scott Westerfeld, dans le diptyque Succession (2003), réhabilite l'empire autoritaire en contexte post-humain. Son Empire ressuscité regroupe quatre-vingts mondes sous l'autorité d'un Empereur immortel vieux de vingt siècles. Le secret de cette immortalité, conférée par un symbiote et nécessitant un suicide rituel initiatique, structure toute la hiérarchie sociale et politique. Face à lui, la secte des Rix — cyborgs fanatiques vénérant des Intelligences Artificielles planétaires — incarne une menace transhumaniste. Westerfeld réactive l'esthétique du space opera classique (empires galactiques, batailles épiques) pour mettre en scène des tensions contemporaines : humains modifiés contre machines conscientes, pouvoir centralisé millénaire contre intelligence artificielle émergente. L'approche hard SF (dilatation temporelle, nano-vaisseaux, jargon technique poussé) accompagne une question centrale : quelle légitimité pour un empire fondé non sur la force, mais sur le contrôle absolu de la mort et de l'évolution humaine ?
La science-fiction française a développé ses propres space opéras remarquables. Parmi eux, Latium de Romain Lucazeau, publié en 2016, est un space opera uchronique, intellectualisé et nourri de culture classique, ancré dans la philosophie d'Aristote et de Leibniz. Cette œuvre présente un futur post-apocalyptique peuplé exclusivement d'immenses nefs stellaires intelligentes. L'espèce humaine a succombé à l'Hécatombe. Orphelines de leurs créateurs, esseulées et névrosées, ces nefs intelligentes attendent dans l'Urbs une inéluctable invasion extraterrestre. Leur programmation les empêche de s'opposer. Lucazeau développe une vision réenchantée du genre, contrastant avec les exoplanètes glacées et l'esthétique parfois austère du New Space Opera anglo-saxon. Cette approche propose une autre voie pour le space opera, où le théâtre de Corneille dialogue avec les codes de la science-fiction contemporaine.
John Scalzi, lui, analyse la fragilité structurelle des empires. The Collapsing Empire (2017) se déroule dans un empire galactique de quarante-huit systèmes stellaires, unis par le Flux, une technologie de voyage spatial. Lorsque ce réseau vital se désintègre, l'empire de la famille Wu vacille. Premier volume de la trilogie L'Interdépendance (2017-2020), ce space opera ambitieux, d'une construction très classique, mêle intrigues politiques et action spectaculaire avec humour et base scientifique crédible, questionnant l'adaptabilité humaine face à l'effondrement des structures de pouvoir.
Conclusion : un creuset de nouveaux mythes
"Pour beaucoup de lecteurs, le space opera est la forme primale de la science-fiction, le style d'œuvres auquel on pense en premier quand on veut définir la SF. Il est devenu si populaire que, depuis 1982, les prix Hugo ont été majoritairement attribués à des œuvres relevant du space opera." (3)
On peut citer C.J. Cherryh (Downbelow Station, 1982), David Brin (Startide Rising, 1984), Dan Simmons (Hyperion, 1990), Lois McMaster Bujold (pour sa série des Vorkosigan) et Vernor Vinge (A Fire Upon the Deep, 1993 ; A Deepness in the Sky, 2000 ; Rainbows End, 2007).
Né dans les pulps, revitalisé par Star Wars et réinventé par le NSO, il continue d'assumer pleinement sa fonction d'évasion et cultive l'émerveillement à une échelle cosmique sans précédent. Ses auteurs rivalisent d'inventivité pour captiver le lecteur avec des concepts vertigineux : sphères de Dyson, trous noirs transformés en superordinateurs, civilisations capables de reconfigurer des galaxies entières.
Mais au-delà de cette débauche d’imaginaire technologique et de décors grandioses, se cache une ambition plus profonde. À la différence des épopées spatiales des années 1940 et des sagas grand public qui puisaient dans des structures narratives millénaires — la chute et la rédemption, le héros face au monstre, le mentor sage guidant l'élu, la quête initiatique contre la destinée, la mort et la renaissance —, le NSO forge de nouveaux archétypes contemporains. L'immortalité se conjugue avec la post-humanité. L'intelligence artificielle devient un symbole universel de puissance autant qu'une menace potentielle. Les biotechnologies et nanotechnologies cristallisent nos fantasmes de transformation corporelle. Ces grandes aventures spatio-temporelles ne visent pas tant à réveiller l’universel qu’à créer de nouveaux mythes fondateurs. Elles inventent les récits qui façonneront nos mythologies de l’avenir.
Sources :
(1) In : Sylvie DENIS - Première parution : 1/7/2009 dans Bifrost 55 - Mise en ligne le : 31/10/2010. https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146572378
(2) In : APOPHIS. Comprendre les genres et sous-genres des littératures de l’imaginaire : partie 7 – Sous-genres majeurs de la SF. https://lecultedapophis.com/2017/06/19/comprendre-les-genres-et-sous-genres-des-litteratures-de-limaginaire-partie-7-sous-genres-majeurs-de-la-sf/
(3) In : Jean-Claude DUNYACH - Du Space Opera au Nouveau Space Opera : la métamorphose d’un genre. https://www.noosfere.org/articles/article.asp?numarticle=584
(4) In : Jean-Pierre LION - Première parution : 1/4/2010 dans Bifrost 58 - Mise en ligne le : 16/7/2011. https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146575685
(5) In : Jacques Baudou - La Science-fiction, PUF, " Que sais-je ? ” no 1426, 2003
Nos chaleureux remerciements aux chroniqueurs, aux revues Bifrost et Galaxies ainsi qu'à nooSFere pour sa promotion de la science-fiction parue en langue française.