Quelques notes sur la Culture, de Iain M. Banks

Quelques notes sur la Culture, de Iain M. Banks
 © Sébastien Garnier

Le cycle de la Culture est un vaste space opera, qui comporte neuf romans et un recueil de nouvelles.

"Iain M. Banks est l'un des quelques auteurs incontournables de la SF contemporaine. Au point même qu'il est proprement inconcevable de prétendre s'intéresser au genre sans l'avoir lu. En quelques romans devenus depuis des classiques, l’Écossais a révolutionné le Space opera. Contribution majeure et pierre angulaire de sa science fiction, la Culture est incontestablement la véritable héroïne de ses romans". ActuSF

Dans l'article publié en 1994 sur Internet, A Few Notes on the Culturele regretté Iain M.Banks (décédé en 2013) a présenté la réflexion originale qui l'a conduit à créer sa civilisation pan-galactique. Quelques notes sur la Culture a été traduit en français en annexe de la première édition de Trames chez Robert Laffont, dans la collection Ailleurs et Demain.


Diaspora d’humains, d’intelligences artificielles et de quelques autres espèces

Dans la galaxie où se déroulent les récits, une multitude de formes de vie ont émergé et ont traversé diverses étapes de civilisation, de conflits, de déclins et de renaissances. À l'époque décrite, un ensemble diversifié de civilisations spatiales coexistent : communautés mineures, espèces en développement, peuples isolés ou disparus.

Parmi ces civilisations, la Culture se distingue comme une civilisation collective, formée par l’union de sept ou huit espèces humanoïdes et de groupes d’intelligences artificielles. Ces entités capables de voyager dans l'espace ont établi une fédération souple il y a environ neuf mille ans, afin de garantir leur indépendance face aux structures de pouvoir établies, principalement celles des États-nations planétaires et des groupes commerciaux autonomes dont elles sont issues. Cette alliance originelle entre vaisseaux et habitats spatiaux leur a permis d'acquérir et maintenir leur autonomie.

La Culture privilégie la résolution pacifique des conflits par la diplomatie, la persuasion et la compréhension mutuelle. La section diplomatique "Contact" est un pilier de la Culture, chargée d'explorer, cataloguer, évaluer et éventuellement intervenir auprès des civilisations découvertes. "Contact" est l’élément le plus cohérent et le plus stable de la Culture à l’échelle galactique, bien qu’elle ne constitue qu’une infime partie de celle-ci. C’est presque une petite civilisation en elle-même, au sein d’un hôte plus vaste, mais elle ne représente pas plus la Culture qu’une armée ne représente un pays en paix. Même la langue de la Culture, le "marain", dont elle est si fière, n’est pas parlée par tous ses citoyens, bien qu’elle soit utilisée bien au-delà de ses frontières.

La Culture est large d’esprit. (1)

La Culture valorise la diversité sous toutes ses formes : espèces, cultures, idées. Elle encourage l'interaction entre des entités très différentes, source d'innovation et de compréhension mutuelle. Elle ne favorise généralement pas l'immigration, préférant aider d'autres civilisations à développer leur potentiel sans les coloniser. Cependant, certaines personnes peuvent quitter la Culture pour une autre civilisation, ce qui implique de renoncer à sa technologie et d'adopter un mode de vie discret.

Elle accorde à chaque créature intelligente et consciente, qu’elle soit biologique ou mécanique, le statut d’être humain, avec tous les droits associés. Sa gouvernance repose sur des référendums pour résoudre les problèmes, avec un droit de vote universel. Les pouvoirs politiques sont largement répartis pour limiter l'influence de toute entité individuelle.

Cette civilisation rassemble trente mille milliards de citoyens, mêlant dans une totale égalité humains, extraterrestres, drones et intelligences artificielles.

Une ère civilisationnelle stable

"La Culture a plus ou moins atteint le statu quo il y a des milliers d’années et s’est installée dans la durée comme ère « civilisationnelle » stable, une sorte de point culminant capable de subsister dans l’avenir prévisible, voire pendant des milliers de générations. La vie quotidienne des Culturiens varie considérablement d’un endroit à l’autre, mais il y règne une stabilité générale que nous-mêmes trouverions soit fort paisible, soit, finalement, assez décevante, selon le tempérament de chacun."

Un gouvernement d'IA bienveillantes

La Culture est gouvernée par des intelligences artificielles avancées appelées "Minds" (ou "Mentaux"), qui veillent au bien-être de ses citoyens, anticipent leurs besoins et gèrent la logistique de la société. Ces IA administrent la richesse collective pour le bénéfice de tous. Les vaisseaux spatiaux de la Culture, eux aussi dirigés par des Minds, servent de véhicules emblématiques à cette civilisation.

Leur "Mental" entretient avec la matière du vaisseau une relation comparable à celle du cerveau humain avec le corps qu'il contrôle : le Mental est l’élément crucial, tandis que le reste assure la survie et la mobilité. Le pilotage de ces vaisseaux ne nécessite ni humains ni drones indépendants (IA individualisées mais non humanoïdes, dont l'intelligence est équivalente à celle d'un humain). Ces derniers occupent un rôle intermédiaire entre passagers, animaux de compagnie et parasites.

Vaisseaux et stations spatiales sont l’infrastructure pensante de la Culture, qu’elles contrôlent d’ailleurs plus qu’elles ne l’habitent. (2)

L'émergence de l'IA est considérée comme inévitable et elle est pleinement intégrée.

Limites et critiques du système des Mentaux

Comme un commentateur l'a dit, « En confiant toute la puissance à ces intelligences artificielles, les "Mentaux", à la fois individualistes, parfois excentriques, mais toujours bienveillantes, Banks savait ce qu'il faisait, c'est le seul moyen pour que l'anarchie libérale puisse être atteinte, en prenant le meilleur de l'homme et en le plaçant au-delà de la corruption, ce qui signifie hors de contrôle de l'homme. Le danger impliqué dans cette étape d'imagination, cependant, est clair ; l'un des problèmes avec les romans [du cycle de] la Culture en tant que tels, c'est que les personnages centraux, les Mentaux, sont trop puissants et, pour le dire crûment, trop bons. » (3)

Des propos à contrebalancer par la réflexion d’un ennemi de la Culture (4) :

« Comment croire que les simples citoyens de la Culture désirent réellement la guerre, quel qu'ait été le résultat de leur vote ? Ils avaient leur utopie communiste. Ils étaient mous, choyés et trop gâtés, et le matérialisme évangélique de la section Contact se chargeait des bonnes œuvres destinées à soulager leur conscience. Que demander de plus ? Non, la guerre devait être au départ une idée des Mentaux ; on reconnaissait bien là leur volonté clinique de nettoyer la galaxie, d'en assurer le fonctionnement esthétique et efficace, sans gaspillage ni injustice, ni souffrance d'aucune sorte. »

L'habitat spatial comme mode de vie

L'évolution des espèces sur leur planète d'origine façonne leurs structures mentales, souvent bidimensionnelles et conditionnées par la géographie. Les ressources naturelles, l'espace vital et les voies de communication déterminent l'organisation des tribus, clans, pays ou États-nations.

Lorsque l'humanité s'étend dans l'espace, les systèmes de pouvoir centralisés deviennent difficiles à maintenir. Les habitats spatiaux doivent être quasi autonomes pour survivre, ce qui affaiblit l'emprise des États et des corporations lorsque les aspirations des habitants se heurtent aux exigences centrales.

Dans la Culture, les habitants vivent principalement dans des Orbitales, d'immenses habitats artificiels en forme d'anneau autour des étoiles, préférés à la terraformation des planètes. Ces Orbitales offrent un cycle jour-nuit, une gravité artificielle, et sont construites à partir de Plateaux, des sections de terre et d'eau maintenues par des champs tenseurs. Cette méthode permet d'utiliser efficacement l'espace et la matière tout en évitant la destruction des planètes. La Culture extrait ses matériaux des comètes, des astéroïdes, et de la matière interstellaire.

Cette adaptation à l'environnement spatial façonne naturellement une société où la coopération prime sur la compétition.

La Culture, en tant qu'agrégat de civilisations et de mondes, dispose de vastes ressources, ce qui lui permet de mobiliser rapidement des moyens considérables pour faire face aux menaces. Sa taille et sa richesse lui confèrent une puissance technologique qui la protège de la plupart des dangers. Les seules menaces notables sont les 'Problèmes Hors Contexte', dangers imprévus et extrêmes auxquels la Culture doit s'adapter pour survivre.

L'organisation spatiale de la Culture est révolutionnaire, mais son système économique est tout aussi innovant.

Une économie de l'abondance

La Culture est une société hautement automatisée qui offre une vision idéalisée de l'avenir. Elle encourage la pensée audacieuse, la créativité et l'élégance dans la réduction du gaspillage, forme de conscience écologique galactique animée par la beauté. La Culture soutient les voyages interstellaires, la recherche scientifique et l'art, montrant que la curiosité et la soif de connaissance sont des moteurs puissants du progrès. L'éducation y est un processus continu tout au long de la vie.

Les citoyens peuvent voyager dans l'espace à bord de vaisseaux ou vivre des expériences virtuelles. Ils peuvent même déléguer certaines de leurs expériences à d'autres entités et intégrer ensuite ces souvenirs vécus par procuration.

La Culture valorise l'hédonisme et la satisfaction des désirs individuels, tout en cultivant une conscience aiguë du privilège d'y vivre. L'auteur souligne que "la pulsion de réalisation du désir est à la fois l'un des moteurs les plus puissants de la civilisation et sans doute l'une de ses fonctions les plus élevées."

Le principe est simple : la Culture a les moyens de réaliser tous vos désirs. (1)

Les citoyens jouissent d'une abondance matérielle grâce à des technologies de transformation leur permettant de créer tout ce dont ils ont besoin. Cette prospérité permet aux individus de se consacrer pleinement à leurs intérêts personnels.

La Culture ne possède pas de marché tel que nous le connaissons. Iain M. Banks remet en question la moralité du marché par rapport à une économie planifiée participative. Pour lui, le marché est une expérimentation constante où différentes approches sont testées. Toutefois, il critique sévèrement le marché en tant que système rudimentaire et fondamentalement aveugle, incapable de distinguer entre la surproduction inutile de matières premières et la souffrance infligée à des êtres conscients.

Une post-humanité harmonieuse

Ses habitants post-humains naissent avec des modifications génétiques qui améliorent leur santé, leur intelligence et leurs sens. Ils ont également la possibilité de changer de sexe à volonté ou de forme grâce aux biotechnologies. La tradition veut que chacun donne naissance à un enfant au cours de sa vie. La mort est acceptée comme une partie naturelle de la vie, et les funérailles impliquent souvent la diffusion des particules corporelles dans le soleil.

La Culture présente divers modèles familiaux, mais le style de vie le plus courant regroupe généralement des individus de différentes générations dans des résidences semi-communautaires. Les relations familiales peuvent être assez distendues, avec un grand nombre d'oncles, de tantes et de cousins. L'éducation des enfants est prise en charge par l'entourage en cas de maltraitance parentale (ce qui se révèle exceptionnel).

La société de la Culture fonctionne sans lois strictes, s'appuyant plutôt sur des normes de comportement consensuelles et de savoir-vivre. Les crimes graves, comme le meurtre, sont punis par des sanctions appropriées, telles qu'une proposition de traitement et la surveillance par des drones punitifs. Les mégalomanes n'y sont pas absents, mais généralement, on les amène à s'investir dans des jeux extrêmement complexes qui peuvent se dérouler dans la Réalité Virtuelle.

Chaque habitat de la Culture — qu’il s’agisse d’une Orbitale, d’un vaisseau, d’un Roc ou d’une planète — dispose également d’espaces dédiés au Stockage. Lorsqu’ils estiment que leur longue existence a atteint une forme d’accomplissement, ou simplement lorsqu’ils se sentent fatigués de vivre, certains individus choisissent de s’y retirer. Cette possibilité s’ajoute à la gamme de choix offerts à chacun en fin de vie, après plusieurs siècles d’existence artificiellement prolongée jusqu’à trois cent cinquante ou quatre cents ans : poursuivre leur parcours grâce à la réjuvénation, rejoindre une conscience collective, accepter sereinement la mort ou encore répondre aux énigmatiques invitations de civilisations très anciennes. Le Stockage permet ainsi à chaque personne de décider librement du moment de son retrait, en fixant les conditions d’un éventuel réveil, en parfaite adéquation avec la philosophie profondément individualiste et non coercitive de la Culture.

Conclusion

Bien que la Culture ne soit pas exempte d'imperfections et de cynisme, elle offre une vision optimiste et progressiste de ce que pourrait être une civilisation coopérative à l'échelle galactique. Elle se présente comme l'exemple le plus proche en science-fiction d'une civilisation galactique tolérante et dotée d'une morale.

À chaque roman correspond donc sa circonstance spéciale qui donne lieu à une opération d’ingérence galactique. (1)

« Ce n’est donc pas au sein de la Culture qu’il va se passer des choses intéressantes, mais à sa marge, c’est-à-dire là où les sections Contact et Circonstances Spéciales, les services diplomatique et militaire de la Culture agissent. Car comme toute société sûre (à juste titre) de sa supériorité technologique et morale, la Culture a tendance à intervenir dans les affaires de ses voisins, moins avancés, moins égalitaristes, moins gentils, en un mot moins… Culture. » (5)


Sources :

(1) In : Alice Carabédian. Le « Cycle de la Culture » de Iain M. Banks : l’utopie hors de l’île. Encyclo. Revue de l'école doctorale Sciences des Sociétés ED 624, 2014, pp.129-144. ⟨hal-01158309⟩

(2) In : Le blog de Yannick Rumpala

https://yannickrumpala.wordpress.com/2009/10/02/lanarchie-dans-un-monde-de-machines/

(3) In : Chris Brown, Journal of International Studies, 2001.

(4) In : extrait du roman Une forme de guerre.

(5) In : L'épaule d'Orion


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« La Culture va au-delà, mélange tout, déborde les catégories. Qu’est-ce qu’une utopie, qui n’est pas un lieu, ni vraiment une société, mais une « Culture » ? » Alice Carabédian