A.I. Intelligence Artificielle

A.I. Intelligence Artificielle
A.I. Intelligence artificielle de Steven Spielberg @Warner Bros.

Comment les robots de science-fiction nous réapprennent notre humanité.

A.I. Intelligence artificielle (2001) de Steven Spielberg s'inspire d'un projet de film jamais concrétisé de Stanley Kubrick. Le réalisateur d'Orange Mécanique avait initialement envisagé d'adapter une nouvelle de Brian Aldiss, Les Supertoys durent tout l'été * (1969). Considéré comme l'un des écrivains britanniques de science-fiction les plus importants du XXe siècle, Aldiss avait été engagé par Kubrick pour en faire un film. En 1989, Kubrick a renvoyé Aldiss en raison de divergences artistiques et a fait appel à Bob Shaw, qui a quitté le projet après quelques semaines. Par la suite, Ian Watson, un autre écrivain de science-fiction renommé, a rejoint l'équipe avec pour mission de s'inspirer des Aventures de Pinocchio.

Dans les années 90, A.I. Intelligence artificielle commence à prendre forme, à un détail près : les effets spéciaux. Kubrick, estimant que la technologie n'est pas suffisamment avancée, met son projet en suspens. La donne change avec la sortie de Jurassic Park (1993) de Steven Spielberg, qui révolutionne le domaine des effets spéciaux. Avec l'autorisation de Kubrick avant sa mort en 1999, Spielberg achève le film en 2001. Il apporte des modifications et des ajouts au scénario, y intégrant sa propre vision. Il s'appuie aussi sur une mine de dessins préparatoires réalisés par Chris Baker à la demande de Kubrick. Ces croquis **, qui représentent l'univers graphique du film, restent impressionnants par leur fidélité au projet original.

A.I. aborde de nombreuses questions fondamentales sur ce que signifie être humain et sur le rôle des machines dans leur rapport avec l'homme qui les a créées. Le film explore les thèmes de l'enfance, de la conscience et de l'humanité à travers l'histoire de David, "un robot enfant qui pourra aimer sincèrement le parent ou les parents par lesquels il aura été empreint, d'un amour qui ne finira jamais".

Le film commence avec des images des mers ayant submergé de grandes villes comme Amsterdam, New York et Venise. Au XXIIe siècle, une partie de la Terre a été ravagée par le réchauffement climatique et l'élévation du niveau de la mer, dévastant les habitats côtiers et décimant la population mondiale. Dans ce contexte chaotique, des permis de grossesse ont été instaurés dans les pays riches. Pour pallier la forte réduction de la population active, des robots androïdes appelés mécas sont créés pour répondre aux besoins des humains : tâches ménagères, services et amour.

Dans la première partie du film, le professeur Hobby veut aller encore plus loin en créant le premier androïde sensible capable d'acquérir un esprit : "un enfant susceptible de développer un vaste répertoire d'émotions et de souvenirs, une sorte de subconscient, un monde intérieur de métaphores, d'intuitions et de raisonnements auto-motivés, de rêves". Trois ans après cette annonce, David, un robot ayant l'apparence d'un enfant de onze ans, fait son entrée chez Henry et Monica Swinton, un couple dont le jeune fils, Martin, a été cryogénisé en attendant un remède pour guérir sa grave maladie.

Monica, initialement réticente, se rapproche peu à peu de David et forme de vrais liens avec lui. Programmé pour aimer sans limites ses parents adoptifs, David s'intègre à sa nouvelle famille et se lie d'amitié avec Teddy, l'ours en peluche robotique de Martin. Entre-temps, Martin est miraculeusement guéri et revient pour reprendre la place centrale dans le foyer. David doit alors faire face à la jalousie de son "frère" et réalise qu'il n'est pas un vrai petit garçon. Ce huis clos psychologique se déroule dans la maison des Swinton, avec des séquences lentes et une atmosphère de plus en plus étouffante.

Dans la deuxième partie, suite au drame de la piscine provoqué par David, Monica refuse de laisser ses concepteurs le détruire et préfère lui donner sa liberté en l'abandonnant dans une forêt. Il part alors à la recherche de la Fée Bleue, un personnage de conte de fées qu'il croit capable de réaliser son souhait de devenir un véritable garçon vivant. Avec Teddy, l'ours jouet bienveillant, David entame un périlleux voyage à la recherche de son identité et de sa part secrète d'humanité. Cet abandon introduit brutalement le monde extérieur et le mouvement dans le film, déclenchant alors une narration chaotique dont les personnages paraissent être les jouets du hasard, de la violence et de l’arbitraire, mais aussi de la magie.

Dans la troisième partie, David rencontre Gigolo Joe (interprété impeccablement par Jude Law), un love Méca conçu pour le plaisir des femmes, qui est en fuite après avoir été accusé à tort de meurtre. Ensemble, ils traversent un paysage post-apocalyptique et sont capturés par des chasseurs de robots pour un spectacle de destruction appelé Flesh Fair. Lors de cette cérémonie cruelle de sacrifice géant, les robots endommagés ou en fuite sont détruits à l'acide ou au canon dans une arène à la Mad Max. Quand c'est au tour de David et de Joe, l'enfant manifeste une telle frayeur qu'il suscite la sympathie du public humain, qui exige sa libération. Sous la pression, les organisateurs les libèrent.

David, Joe et Teddy se rendent alors à Rouge City, la ville dépravée où tout est possible, pour consulter le Docteur Know et obtenir des réponses sur la Fée Bleue. Avec la voix de Robin Williams et une tête de cartoon évoquant Einstein, le Docteur Know est une intelligence artificielle incarnée sous la forme d'un hologramme interactif, un guide encyclopédique payant à qui les personnages peuvent poser des questions pour obtenir des informations. Intervenant pour la première fois dans le destin de David depuis qu'il a été adopté par Monica, le professeur Hobby prend le contrôle à distance de l'interface du Docteur Know et affiche la localisation précise de la Fée Bleue pour attirer David jusqu'à son laboratoire.

Le trio vole un amphibicoptère pour se rendre à Manhattan, où les sommets des buildings se dressent encore au-dessus des flots. David rencontre alors son créateur, le professeur Hobby, et découvre qu'il est le premier d'une nouvelle génération de mécas capables d'aimer. Cette révélation le déstabilise profondément : il réalise qu'il n'est pas unique, mais un objet de série. Refusant cette réalité, David se jette dans le vide, ses espoirs anéantis. Lorsqu'il s'abîme dans les eaux, David est entouré et pris en charge par un banc de poissons qui le conduit aux abords de la statue de la Fée Bleue. Face à l'éclat lumineux de la statue, David retrouve la foi perdue après son entretien avec Hobby. Extrait des eaux par Joe, il entreprend de retrouver la Fée Bleue qui se dresse au milieu d'un ancien parc d'attractions consacré à l'univers de Pinocchio. Lui et Teddy se retrouvent bloqués sous l'eau à bord de l'amphibicoptère, mais David continue inlassablement de prier la fée de le transformer en "un vrai petit garçon" pour que sa maman l'aime vraiment.

Mais l'odyssée futuriste de David ne s'arrête pas là. L'épilogue du film, avec l'intervention des extraterrestres, ramène le récit dans l'univers de science-fiction caractéristique de Spielberg, rappelant Rencontres du troisième type... Deux mille ans plus tard, une nouvelle ère glaciaire a figé les océans et anéanti l'humanité. David et Teddy sont découverts dans un chantier de fouilles archéologiques gigantesque et sont réactivés par d'étranges créatures filiformes. Fascinés par cet immuable survivant du génie humain, les extraterrestres lui offrent une journée avec sa mère adoptive, Monica, recréée à partir de l'ADN d'une mèche de cheveux conservée par Teddy. "Cette séquence finale touche du doigt le véritable sujet du film : la spécificité humaine, l'indicible de ses sentiments, et son attendrissante et mélancolique imperfection." ***

Comme Andrew, le robot domestique de L'homme bicentenaire, David cherche à comprendre et à adopter le comportement humain pour gagner l'affection de sa famille adoptive. Dans chacun de ces films, l'histoire de Pinocchio est réinterprétée pour susciter compassion et émotions chez le spectateur, sans jamais tomber (selon moi) dans l'excès de sentimentalisme. Que ce soit à travers les yeux d'Andrew ou de David, ces déclinaisons robotiques du pantin de bois nous confrontent à la tristesse d'un monde qui s'évanouit avec le temps ou au désespoir d'une civilisation en déclin, conférant à ces films une tonalité mélancolique. D'une portée vertigineuse, mélangeant l'intime et le magique, ces contes nous rappellent que le plus grand don humain est la capacité de poursuivre nos rêves.

Haley Joel Osment livre une performance remarquable dans le rôle de David, capturant parfaitement la transition de l'innocence mécanique à l'émotion humaine. Son jeu est à saluer, avec ses yeux qui ne clignent jamais, sa démarche étrange, sa gestuelle décalée, et son timbre de voix monotone qui peut soudainement grimper dans l’émotion. Ses crises de larmes poignantes et ses éclats de rire si malaisants qu’ils en deviennent terrifiants, témoignent de son talent exceptionnel.

La réussite du film est également technique, avec un superbe travail sur le design des robots aux visages fragmentés. Impossible aussi de ne pas mentionner Teddy, l'ours créé par le grand Stan Winston, une véritable merveille d’animatronique capable d'interagir avec les acteurs et le décor sur le plateau.

Il est assez amusant d'entendre Teddy grogner plusieurs fois lorsqu'il est agacé. Bien que moins évolué que David en tant que robot, Teddy a une vision bien plus réaliste du monde qui les entoure. Quant à Gigolo Joe, il fait preuve fréquemment de cynisme, notamment envers les humains dont il se méfie à raison.

Le film dépeint avec subtilité l'évolution psychologique de David, qui développe progressivement des émotions humaines, des aspirations et une quête désespérée pour devenir humain et retrouver Monica. David, qui ne peut pas manger ni grandir comme un être humain, aspire à devenir vivant, à aimer Monica et à recevoir son amour en retour. Sa quête le mène à une série d'aventures et de déceptions, illustrant comment la poursuite du bonheur peut parfois conduire à des résultats destructeurs ou inattendus. À la fin, pour permettre à David de vivre la joie d'être aimé pendant une journée par sa mère ressuscitée, la structure de l'espace-temps qui avait emmagasiné la "mémoire de Monica" est à jamais effacée, elle ne pourra jamais renaître. À trop vouloir étreindre ses rêves, on les détruit. Les contes sont bien cruels.


*Supertoys Last All Summer Long - in : L'instant de l'éclipse, DENOËL Présence du futur, n° 164 - Février 1973

**A.I. Artificial Intelligence: From Stanley Kubrick to Steven Spielberg: the Vision Behind the Film -  de Jane M. Struthers sous la direction de Jan Harlan

The Art of Artificial Intelligence
As a major A.I retrospective gets published, conceptual artist Chris Baker talks about working with Stanley Kubrick and Steven Spielberg on the film

L'artiste Chris Baker, a.k.a. Fangorn, a réalisé des centaines de croquis entre 1994 et 1996 pour fournir à Kubrick des idées visuelles alors qu'il travaillait sur le scénario d'A.I.

@Chris Baker
@Chris Baker
@Chris Baker
@Chris Baker

***In : https://www.senscritique.com/film/a_i_intelligence_artificielle/critique/24450261


Pour en savoir plus sur le film : https://libresavoir.org/index.php?title=A.I._Intelligence_Artificielle_de_Steven_Spielberg


"Parmi les livres que je lui ai envoyés, il y avait une collection de nouvelles qui incluait "Les Supertoys durent tout l'été". Il a donc choisi cette histoire et était convaincu qu'il pouvait en faire un film. Il a consacré plus de dix ans de sa vie sur ma nouvelle. Cette dernière m'avait pris tout au plus une semaine à écrire ! Et Kubrick y a consacré dix ans ! C'est extraordinaire !" Brian Aldiss
"Je voulais que Stanley créé une grande légende futuriste, et non un vieux conte de fées réchauffé. Mais ce sont les paramètres qu'il avait fixés et il m'a exclu. Je ne lui en veux pas. Spielberg a bien entendu suivi ces directives." Brian Aldiss