Imaginaires marins dans la SF

Imaginaires marins dans la SF
2001, l’Odyssée de l’espace : © Metro Goldwyn Mayer

Triton, les Néréides et les Gorgones sont des figures associées au monde marin dans la mythologie grecque. Ces créatures incarnent la fascination et la crainte que les Grecs anciens ressentaient envers la mer, un élément omniprésent dans leur vie quotidienne et leur imaginaire. Enveloppée de mythes et de légendes, la disparition d'Hélikè, une cité florissante et centre religieux dédié à Poséidon, en 373 avant notre ère, suite à un tremblement de terre et un tsunami, reste l'un des événements les plus mystérieux de l'Antiquité. Elle a longtemps captivé l'imagination des historiens, des archéologues et du grand public jusqu’à sa redécouverte. Pourrait-elle être la célèbre Atlantide de Platon ? (1)

Bien que le mythe de l'Atlantide ait été peu discuté durant l'Antiquité, il a suscité un intérêt croissant à partir de la Renaissance. Il demeure aujourd'hui un thème fertile dans l'art, la littérature, la BD et les jeux vidéo. A la télévision et au cinéma, L'Homme de l'Atlantide et Aquaman sont célèbres grâce à leurs incroyables capacités aquatiques. Unique survivant de la légendaire Atlantide ou super-héros de l'univers DC Comics, ces personnages aux pouvoirs spéciaux incarnent le fantasme de pouvoir vivre et respirer librement dans l'eau, comme un retour freudien dans le ventre de la mère.

Avec Waterworld, nous assistons à une inversion du mythe de l'Atlantide, car ce sont les terres émergées qui deviennent une légende. Suite au réchauffement climatique ayant provoqué la fonte des glaces, la terre est totalement recouverte d'eau. La planète submergée contraint ses habitants à résider sur des embarcations ou des îlots artificiels, baptisés Atolls, construits à partir de matériaux de récupération rouillés et hétéroclites. Le film ne se contente pas de présenter cet environnement aquatique, il développe également toute une société avec ses diverses langues, populations, rites, religions, traditions, et même ses préjugés. C'est comme si l'humanité était retournée à une ère antique, où règnent les superstitions, les pirates des mers, le pillage et d'autres pratiques similaires. L'immersion du spectateur dans ce monde singulier est profonde, presque perturbante, car il paraît plausible. Le personnage de Mariner, interprété par Kevin Costner, possède certaines caractéristiques qui le distinguent des autres humains. Il est génétiquement adapté à vivre dans le monde submergé de Waterworld. Ses adaptations incluent des branchies derrière les oreilles, lui permettant de respirer sous l'eau, des mains et des pieds palmés, ainsi qu'une peau qui résiste aux rayons UV nocifs du soleil, qui sont particulièrement intenses sur l'eau.

Dans une veine fantastique, le film de Guillermo del Toro La forme de l'eau apparaît beaucoup plus inventif, érudit et satisfaisant sur le plan narratif que ces réinterprétations contemporaines du mythe atlante. L'histoire se déroule pendant la guerre froide et suit une femme de ménage muette qui travaille dans un laboratoire gouvernemental secret où elle découvre et développe une relation amoureuse, onirique et sensuelle, avec une créature amphibie anthropomorphe, un esprit des eaux doté de pouvoirs surnaturels. À travers les épreuves qu'ils traversent, lorsque le couple se fond dans la mer, émerge l'espoir qu'un espace vital plus tolérant et poétique leur sera réservé.

Ce même espoir d'un refuge pour les héros malmenés d'Avatar est présent dans le second volet, intitulé La voie de l'eau. De nombreuses séquences évocatrices offrent une expérience 3D enivrante aux spectateurs, leur procurant une immersion totale dans le monde sous-marin ainsi qu'une sensibilité quasi tactile envers la faune marine. Cependant, le côté très « instagramable » des images paradisiaques d'îles et de vues sous-marines du film peut susciter une certaine gêne, semblant considérablement déconnectées de la réalité du monde marin actuel sur Terre, marqué par la pollution et le déclin de la biodiversité. Mais ce parti pris est voulu par le réalisateur, comme il nous l'explique.

"Le monde dans lequel nous vivons subit de nombreuses transformations ; les océans tels que nous les connaissons aujourd’hui ne sont plus ce qu’ils étaient autrefois. Ce film est également une occasion de nous donner un aperçu de ce à quoi ils ressemblaient probablement il y a 300, 400, ou 500 ans, avant que nous ne nous engagions pleinement dans la voie de la civilisation industrielle." James Cameron (2)

L'espace et les grands fonds sont deux sortes d'infini qui se répondent

Abyss est aussi un film de James Cameron qui fait le parallèle avec l'espace, puisque c'est au fond de l'océan qu'il découvre les extraterrestres.

Je voulais faire un film différent de ceux que j'avais pu faire auparavant. [...] La vraie menace, les vrais monstres qui nous menacent dans les ténèbres sont en réalité notre propension à la destruction et notre ingéniosité à inventer des outils pour tuer. J'ai voulu que les créatures d'Abyss soient à l'opposé de celles du film Aliens. Pas ces horribles démons bavant et plongeant dans notre subconscient, mais des créatures pleines de grâce et de beauté, faisant appel à la haute intelligence dont nous sommes capables". James Cameron

Tout à la fois film catastrophe s'inscrivant dans une époque où souffle encore un vent de fin de guerre froide, thriller claustrophobique, film de science-fiction mâtiné d'un zeste d'épouvante mais aussi bouleversante histoire d'amour faisant écho à la situation personnelle du cinéaste qui était alors en plein divorce, Abyss est une mise en abîme de nos tendances autodestructrices. Avant la scène finale, un des personnages principaux descend dans les profondeurs océanes revêtu d'une sorte de combinaison spatiale pour aller désamorcer une ogive nucléaire lancée par un militaire instable et paranoïaque. La mission est accomplie et le péril atomique écarté, mais le film soulève une question plus large : qui va nous sauver de nous-mêmes ?

Michael Crichton semble d'accord avec James Cameron : de fait, notre pire ennemi, c'est nous-même. Dans Sphère, il nous propose une plongée en eau profonde dans la psyché humaine, à la suite de la découverte d'un artefact extraterrestre qui semble se jouer de la réalité et provoquer d'étranges événements. L'auteur s'attaque aussi dans ce roman au paradoxe temporel, à la courbure de l'espace-temps et aux trous noirs et nous les explique avec brio, sans équations mathématiques à la clé.

Dans le film Interstellar de Christopher Nolan, la séquence de la planète-océan montre l'équipage du vaisseau spatial Endurance affrontant des vagues géantes sur une planète entièrement recouverte d'eau, située près d'un trou noir. Les astronautes découvrent que la planète est inhabitable. Cette séquence est marquante pour sa représentation spectaculaire des effets de la gravité sur l'océan de la planète, ainsi que pour ses thèmes d'espoir, de persévérance et de solitude. Film de science-fiction dont le sujet est le déroulement relatif du temps ? Pas seulement, car c'est bien l'Homme qui est au cœur de cette histoire : ses actes, ses peurs, ses choix, sa légitimité, son instinct de survie, son individualité, sa relation à l'autre...

Que ce soit la découverte de fonds marins, de planètes ou la recherche de vie, ces environnements stimulent les explorateurs et les scientifiques à repousser sans cesse les limites.

En 1943, le commandant Cousteau, pionnier de la plongée sous-marine, a co-inventé le scaphandre autonome avec l'ingénieur Émile Gagnan et nous a fait découvrir le monde du silence.

Dans "Vingt Mille Lieues sous les mers", ce que visent les héros de Jules Verne, ce sont les confins du monde, les points extrêmes, les « blancs » des cartes et mappemondes. Ils étaient nombreux à l’époque ; mais aujourd’hui encore, l’intérieur de l’écorce terrestre, les « grands fonds sous-marins », les planètes autres que notre satellite ne sont connus que par technologie interposée : l’homme ne les a pas encore pénétrés. Verne, lui, y envoie des explorateurs qui, comme Aronnax, pourront dire : « J’ai vu et senti ». François Raymond - Le livre d'or de la science-fiction de Jules Verne

Déjà célèbre pour ses vols en ballon dans la stratosphère, le savant suisse Auguste Piccard s’intéresse dès la fin de la Seconde Guerre mondiale à la plongée en grande profondeur. Reprenant les principes physiques de son ballon stratosphérique, il développe des sous-marins qu’il nomme bathyscaphes (barque des profondeurs en grec). Avec l'aide de son fils Jacques, il conçoit le bathyscaphe Trieste, financé par la région italienne du même nom. Pour des raisons financières, le Trieste est vendu à la Marine américaine, qui souhaite explorer les grands fonds marins pour y déposer des déchets nucléaires. Le 23 janvier 1960, Jacques Piccard et le lieutenant de marine Don Walsh atteignent le fond de la Fosse des Mariannes dans le Pacifique, l'endroit le plus profond du globe, après 9 heures de plongée. Ils y découvrent de la vie, ce qui entraîne l'abandon du projet de dépôt nucléaire.

«Au moment où nous arrivâmes, nous eûmes la chance immense de voir, juste au milieu du cercle de lumière apporté par un de nos projecteurs, un poisson. Ainsi donc, en une seconde, mais après des années de préparation, nous pouvions répondre à la question que des milliers d’océanographes s’étaient posée. La vie, sous forme supérieurement organisée, était donc possible quelle que soit la profondeur. » Jacques Piccard (3)

Notre Terre est bleue

L'aéroplane et l'aventure spatiale ont changé notre vision de la Terre en la montrant vue d'en haut. On a réalisé que notre planète est principalement bleue à cause de ses océans, qui couvrent environ trois quarts de sa surface. Malgré cela, pour la plupart d'entre nous habitués à la vie sur terre, l'océan, et notamment ses abysses océaniques, continue de constituer une frontière, aussi bien physique que mentale : un réceptacle des espoirs et fantasmes de l'humanité.

L'océan est souvent considéré comme un symbole de l'inconscient en raison de sa profondeur, de son immensité et de son mystère, qui rappellent les aspects cachés et inexplorés de l'esprit humain. Comme l'inconscient, l'océan est une force puissante et insaisissable qui régit les émotions, les instincts et les désirs humains. En creusant davantage cet aspect symbolique de la mer, on peut voir que l'océan est souvent associé à la mère, à la matrice, à l'origine de la vie. Dans de nombreuses cultures et mythologies, la mer est considérée comme le lieu de naissance de la vie, le berceau de l'humanité, un réservoir de vie d'où tout émerge et où tout retourne.

Dans le film 2001, l’Odyssée de l’espace, l'idée du fœtus en orbite observant la Terre n'est pourtant pas de Stanley Kubrick mais de son coscénariste, le romancier Arthur C. Clarke. Avec cette histoire qui résume en elle bon nombre de significations d'une société - la violence pour contrôler l'accès à l'eau, l'invention des armes, la connaissance utilisée comme une arme de pouvoir, l'intelligence artificielle et la conscience, ainsi que le cycle de la vie et de l'évolution humaine - ils ont tous deux contribué à créer un mythe.

"La mer. Il faut l'imaginer, la voir avec le regard d'un homme de jadis : comme une barrière étendue jusqu'à l'horizon, comme une immensité obsédante omniprésente merveilleuse énigmatique... A elle seule, elle est un univers, une planète." Citation de Fernand Braudel (4)

"Même le grand Braudel la comprend mal, l'effleure : la mer n'est pas une « barrière » pour les merriens, elle est un passage." Cyrille P. Coutansais (4)

Plonger dans les profondeurs

Solaris est un roman de science-fiction écrit par l'auteur polonais Stanisłas Lem. Il a été publié pour la première fois en 1961. L'histoire se déroule dans un futur indéterminé et se concentre sur les événements mystérieux qui se déroulent à bord d'une station spatiale en orbite autour de Solaris, une planète océanique extraterrestre. Le roman a été adapté plusieurs fois au cinéma, notamment dans des films réalisés par Andrei Tarkovsky en 1972 et par Steven Soderbergh en 2002.

La planète Solaris est recouverte d'un océan intelligent monocellulaire qui semble avoir des propriétés étranges et inexpliquées. Les membres de l'équipage de la station spatiale commencent à faire l'expérience de phénomènes étranges et de visions liées à leurs souvenirs et à leurs peurs les plus profondes. Ces manifestations sont générées par l'océan de Solaris, qui semble capable de matérialiser les pensées inconscientes des membres de l'équipage.

"Le docteur Kelvin arrive sur la station en orbite autour de Solaris et observe le comportement anormal de ses habitants, Snaut et Sartorius. Très vite, et contre toute logique, il constate en effet qu’ils ne sont pas seuls à bord… Surgie de sa mémoire, une femme morte quelques années plus tôt réapparaît en chair et en os dans la station." Olivier Noël - Galaxies N°25
"À la fois roman psychologique — tout se passe entre les personnages, astronautes et « créations chimériques » de l'Océan — et roman philosophique, il entraîne le lecteur dans un lent processus de réflexion, au cours duquel sont remis en question la place de l'homme dans l'univers et son aptitude (ou non) à comprendre ce qui lui est parfaitement étranger, totalement inhumain." Ibidem

En contrepoint à Solaris, dans l'épisode 3 de Love, Death & Robots « The Very Pulse of the Machine », basé sur la nouvelle de Michael Swanwick publiée en 1998, la lune Io s’avère être une machine intelligente ancienne qui vit dans l’ombre de Jupiter depuis un temps insondable. Son but est de collecter des données, quitte à absorber la conscience des êtres intelligents qu'elle croise. Lorsque l'astronaute Martha Kivelson demande quelle est la fonction d'Io, la colossale machine répond simplement : « Te connaître ».

Love, Death & Robots « The Very Pulse of the Machine» S03E03 @ Netflix

Blessée et à court d'oxygène à la suite d'un séisme, Martha conclut : « Peut-être que je vais vivre éternellement. Ou peut-être que ce n'est qu'un dernier rêve avant de mourir », et saute de la falaise dans une étendue liquide qui va désintégrer son corps. Io extrait ses souvenirs lors de ce processus. Dans cette symbiose totale avec la machine, Martha est-elle encore morte ou vivante ?

Alors que Io fusionne sa conscience avec celle de l'astronaute Martha Kivelson dans un espace mental artificiel, Solaris invite à penser l'Océan comme le miroir de notre imaginaire, un espace de transition et de possibilités insoupçonnées.


Sources :

(1) In : L'historien suisse Adalberto Giovannini suggère, dans un article paru en 1985, que l'engloutissement d'Hélikè en 373 avant J.-C. a pu inspirer le philosophe athénien Platon dans l'invention du mythe de l'Atlantide, qu'il relate dans deux dialogues, le Timée, rédigé dans les années 350 avant J.-C., et le Critias resté inachevé.

Comment fut engloutie la cité antique d’Hélikè, la véritable Atlantide ?
La redécouverte d’Hélikè par le Projet Hélikè confirme historiquement une cité mythique engloutie par un tsunami.

(2) In : James Cameron est également explorateur National Geographic. En 2012, dans le cadre de l’expédition Deepsea Challenger, il a effectué la première plongée en solo au fond de la fosse des Mariannes, le point le plus profond de notre planète.

«Je considère que Cameron fait pour les fosses marines ce que Jacques-Yves Cousteau a fait pour l'océan il y a des décennies». Lisa Levin, océanographe au Scripps Institute
Avatar : James Cameron nous explique la réalité scientifique qui a inspiré le monde aquatique de Pandora
Dans son nouveau film “Avatar : La voie de l’eau”, le réalisateur nous emmène dans les profondeurs de Pandora dans l’espoir de nous rappeler toute la beauté du monde que nous sommes en train de perdre, et qu’il nous faut absolument protéger.
"Il nous faudrait avoir un profond respect spirituel pour l’harmonie et l’équilibre de la nature. [...] Nous devons tout réapprendre. Nous devons apprendre ce que l’humanité savait autrefois, mais qu’elle a soit oublié, soit volontairement effacé." James Cameron

(3) In : Après 60 ans, Jacques Piccard reste l’homme «le plus profond du monde».

Après 60 ans, Jacques Piccard reste l’homme «le plus profond du monde» - SWI swissinfo.ch
Il y a exactement 60 ans, le 23 janvier 1960, l’océanographe suisse Jacques Piccard établissait un record de plongée avec l’Américain Don Walsh.

(4) In : Aujourd'hui, à l'heure où les hommes s'intéressent de plus en plus aux abysses, sanctuaire longtemps préservé, il est sans doute temps de réunir nos mémoires, maritime et terrestre. Réunir nos deux hémisphères, terrien et marin n'est plus une option : c'est une obligation pour que se poursuive la grande épopée des hommes et de la mer.

revue choisir - L’Homme, fils de la mer
L’Homme est né de la mer mais il en a perdu la mémoire… Quand nous remontons le fil de la vie, nous nous arrêtons au singes…

Cyrille P. Coutansais est directeur de recherches du Centre d'études stratégiques de la marine (CESM). Il est notamment l’auteur de Les hommes et la mer paru aux éditions CNRS en 2017.


Quoi de plus naturel que la SF s'empare du thème de la mer, des océans (ou en fasse son décor).

Voici une liste non exhaustive de quelques œuvres de SF qui sont fortement liées au monde maritime. 

Mer, Océan et Science-Fiction - Liste de 28 livres - Babelio
Mer, Océan et Science-Fiction - L’océan, et notamment les abysses océaniques, a en commun avec les immensités galactiques, de constituer une frontière, aussi bien physique que mental

SF sous-marine (ou « water opera »)

"L’écrasante majorité des auteurs a tourné le dos à la noirceur des profondeurs pour celle de l’espace interplanétaire, interstellaire ou intergalactique. La majorité, certes, mais pas tous".

Comprendre les genres et sous-genres des littératures de l’imaginaire : partie 8 – Sous-genres mineurs de la SF
Après avoir examiné dans l’article précédent les sous-genres majeurs de la Science-Fiction (SF), je vous propose maintenant une sélection (et j’insiste sur ce terme) de ses sous-genres …

« La mer inquiétante, peuplée de monstres, de sirènes enchanteresses et autre Léviathan peut être, dans d'autres civilisations, un jardin d’Éden, un paradis sous-marin ». Cyrille P. Coutansais (4)