Un XXIe siècle de tous les dangers

Pour que la Terre reste un monde vivable pour les générations futures. #8/8
La transition énergétique ne sera ni rapide ni simple.
Scientifique tchéco-canadien mondialement reconnu, Václav Smil est l’un des penseurs les plus influents sur les questions d’énergie. Dans son ouvrage 2050, récemment traduit en français, il démonte méthodiquement les illusions qui entourent la transition énergétique, rappelant une vérité souvent négligée : les révolutions énergétiques prennent du temps – beaucoup de temps.
Quelques chiffres donnent d’abord une idée de l’ampleur de la transformation à mettre en œuvre : il faudrait remplacer 1,5 milliard de véhicules fonctionnant à l’essence ou au diesel par des véhicules électriques, et convertir 50 millions de tracteurs. Il faudrait aussi remplacer plus d’un demi-milliard de chaudières au gaz naturel et trouver de nouveaux moyens de faire fonctionner 120 000 bateaux et 25 000 avions de ligne. Tout cela (et bien plus encore) en seulement vingt-cinq ans.
Pour ce professeur émérite à l’université du Manitoba, les espoirs d’une décarbonation rapide relèvent d’une forme de pensée magique. En 2022, les combustibles fossiles représentaient encore 82 % de l’énergie mondiale. Une proportion à peine inférieure à celle de 1997. À ce rythme, remplacer intégralement les 500 exajoules consommés chaque année dans le monde exigerait un effort colossal et inédit : six fois plus intense que celui observé depuis un quart de siècle. Václav Smil estime ainsi que même en 2050, les énergies fossiles fourniront encore entre 50 et 60 % du mix énergétique mondial.
L’éolien et le solaire, souvent présentés comme des solutions miracles, sont selon lui largement surestimés. Leur intermittence naturelle exige des systèmes de stockage massifs, encore loin d’être déployés à l’échelle nécessaire. Surtout, les besoins matériels sont titanesques : une seule éolienne nécessite 500 tonnes de matériaux par mégawatt installé, contre 30 pour une turbine à gaz. Quant aux métaux critiques indispensables à cette transition – cuivre, lithium, cobalt –, ils sont pour l’essentiel contrôlés par la Chine. La dépendance géopolitique et les dégâts environnementaux associés sont rarement pris en compte dans les discours politiques.
Face à l’urgence climatique, Smil dresse un constat lucide : les émissions de CO₂ ont augmenté de plus de 50 % depuis 1997. Pour espérer atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, il faudrait désormais réduire les émissions de 1,45 milliard de tonnes par an – un rythme trois fois supérieur à l’augmentation annuelle moyenne des dernières décennies. Or, ni le nucléaire – freiné dans son développement –, ni le captage du carbone – encore marginal –, ni même les gains d’efficacité énergétique ne suffiront à inverser la tendance sans une transformation profonde de nos modes de vie et de production.
« On devrait plutôt s’efforcer de tracer un avenir réaliste qui tienne compte de nos capacités techniques, de nos approvisionnements en matériaux, de nos possibilités économiques et de nos besoins sociaux, puis de concevoir des moyens pratiques pour y parvenir, écrit-il. On peut toujours essayer de les dépasser, ce qui est un bien meilleur objectif que de s’exposer à des échecs répétés. » Václav Smil
Et si la décarbonation complète du système énergétique n’est pas possible d’ici à 2050, Vaclav Smil ouvre la voie à d’autres pistes pour lutter contre le réchauffement : limiter les gaz à effet de serre issus de l’agriculture, de l’élevage ou encore de la déforestation – des secteurs qui concentrent encore peu d’efforts – peut aussi avoir un impact majeur sur le climat.
Défis économiques et environnementaux de l'Europe.
Imaginer que les États-Unis, pays fondé sur l’immensité du territoire, l’abondance des ressources et une logique de prédation, deviendront les moteurs de la décarbonation mondiale relève de l’illusion. Sur la scène internationale, les priorités environnementales s’effacent, éclipsées par la confusion et la montée du populisme. Les États-Unis de Donald Trump s’éloignent déjà des fondements de la démocratie libérale en bousculant les décisions des juges et en étalant au grand jour des prétentions territoriales concernant le Groenland ou le Canada.
Dans le même temps, la mondialisation a fragmenté le monde en une mosaïque de zones hors de contrôle : paradis fiscaux, ports francs, cités-États. De Hong Kong à Dubaï, jusqu’au métavers, l’ultracapitalisme se développe sans entrave démocratique.
En 2024, l’Union européenne a subi un choc énergétique majeur, symptôme de l’échec de la transition énergétique allemande (EnergieWende). La fermeture des centrales nucléaires et une dépendance excessive aux énergies renouvelables intermittentes ont fragilisé les réseaux électriques et provoqué une flambée des prix, affectant toute l’économie. L’arrêt du gaz russe a porté un coup brutal à l’industrie chimique allemande. Malgré ses ambitions climatiques, l’Europe n’a pas infléchi la courbe mondiale des émissions de CO₂ — tout en perdant de l’influence sur la scène diplomatique. La désindustrialisation s’est accélérée, alimentant la colère sociale. Lors de la COP29 à Bakou, les énergies fossiles ont été remises au centre du jeu, obligeant l’Union à un choix clair : continuer dans l’impasse actuelle, ou rouvrir le débat sur le nucléaire et sur l’usage raisonné des énergies fossiles.
Pourtant, l’Europe n’a pas d’autre voie que celle de la décarbonation. Elle ne produit que 3 % de son pétrole, 10 % de son gaz et 50 % de son charbon. Depuis 2007, ses importations diminuent, signe d’un approvisionnement de plus en plus contraint. Mieux vaut agir avec lucidité et stratégie : c’est la seule manière d’anticiper les mutations, d’ouvrir des marchés et de donner l’exemple. En parallèle, il faut s’adapter à un climat qui continuera, de toute façon, à se dérégler. Dans un monde instable, la sobriété énergétique s’impose comme le levier le plus sûr pour préserver la souveraineté économique de l’Europe.
Depuis plus de quinze ans, la production et le transport de biens physiques reculent en Europe. La population active diminue d’environ 0,5 % par an, et la productivité est en stagnation depuis 2017. Cette panne ne s’explique pas par la crise sanitaire du covid, mais par un double manque : peu d’investissements dans les technologies clés (informatique, IA, logiciels), et un déficit chronique de recherche et développement. Le pouvoir d’achat régresse, et les projections annoncent un net affaiblissement économique d’ici 2050. Cette contraction pèsera lourdement sur les recettes publiques.
Guerre, répression, désinformation... Le monde se dirige vers un "avenir dystopique", met en garde l'ONU.
Le monde se trouve "à la croisée des chemins" et se dirige vers un "avenir dystopique", fait d'escalades militaires, de répression et de désinformation, a averti le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme lundi 9 septembre. "Nous pouvons soit continuer sur la voie actuelle – une nouvelle normalité dangereuse – et nous diriger, tels des somnambules, vers un avenir dystopique. Ou bien nous pouvons nous réveiller et inverser le cours des choses pour notre bien, pour l'humanité et pour la planète", a déclaré Volker Türk.
Le responsable onusien a mis en garde contre cette "nouvelle normalité" qui serait faite d'"escalade militaire sans fin" et de "méthodes de guerre, de contrôle et de répression de plus en plus horribles et technologiquement avancés". Il a également alerté contre "la diffusion à tout va de la désinformation, qui étouffe les faits et la capacité à faire des choix libres et éclairés".
Volker Türk a donc invité les citoyens du monde entier à "être vigilants" lorsqu'ils doivent élire des dirigeants. "Méfiez-vous des voix criardes, des hommes forts qui jettent de la poudre aux yeux, en proposant des solutions illusoires qui nient la réalité", a-t-il ajouté. "Sachez que lorsqu'un groupe est désigné comme bouc émissaire, vous risquez un jour d'être le suivant."
Les cartes de la guerre en Ukraine, depuis le début de l’invasion russe, en février 2022.
La carte ci-dessous montre, semaine après semaine, l’évolution des territoires contrôlés par les Russes en Ukraine depuis le début de l’offensive. Elle s’appuie sur les observations de l’Institut pour l’étude de la guerre (Institute for the Study of War, ISW), une organisation non gouvernementale américaine, ainsi que celles de l’Institut australien de politique stratégique (Australian Strategic Policy Institute, ASPI) et de War Mapper. Elle est mise à jour toutes les semaines, le lundi.


La terre, le feu, l’eau et les vents.

Plusieurs millions de tonnes de terre contaminée se sont déversées en direction du hameau danois d'Ølst. La municipalité, qui a pu agir en urgence pour éviter la pollution de l'eau, réclame à la société Nordic Waste de rembourser les frais. Mais l'entreprise – détenue par un milliardaire – est en faillite.

L’ampleur de ces incendies s’explique notamment par la sécheresse exceptionnelle et les températures extrêmes qui touchent le pays depuis 2023, et entretiennent les flammes. Le stress auquel la région est exposée, entre les incendies, les sécheresses ou encore la déforestation, est tel que, selon une étude de Nature, le système forestier amazonien pourrait bientôt atteindre un point de basculement en matière de résilience de ses écosystèmes.

Le risque d’inondation dépend du climat mais aussi de l’impact direct des activités humaines. Ce facteur est important : en Europe, les variations hydrologiques observées s’expliquent majoritairement par l’anthropisation du cycle hydrologique. Cela passe par exemple par l’imperméabilisation des sols, qui augmente le risque d’inondation, tandis que certains ouvrages hydrauliques peuvent le diminuer.

Dix jours après le passage du cyclone Chido, la préfecture de Mayotte a livré, mardi, un nouveau bilan du nombre de victimes, toujours provisoire : on compte 39 morts et 4260 blessés dont 124 grièvement.
Portrait d'une civilisation occidentale au bord du précipice.
Addictions numériques, tensions raciales, misanthropie, peur de l'effondrement ou d'un chaos provoqué par des États voyous, nouvelles armes encore inconnues…
La division règne. Dans cette période de turbulences, où nos sociétés occidentales menacent d'imploser de l'intérieur entre complot et désinformation, le film Netflix Le Monde après nous, produit par les Obama, résonne particulièrement. Il est difficile de le regarder sans penser à l'état actuel d'un monde qui semble se déliter peu à peu sous nos yeux.

Mais Le Monde après nous, c'est d'abord le troisième roman de l’américain Rumaan Alam, qui a propulsé son auteur sur le devant de la scène littéraire outre-Atlantique jusqu’à le voir figurer dans la liste des nominés pour le National Book Award en 2020.
"Le Monde après nous expose l'humain pour ce qu'il est, une créature fragile devenue dépendante de son information, une information devenue pouvoir prédictif dans un univers où tout est connecté." https://justaword.fr/le-monde-apr%C3%A8s-nous-458b04344fe0
Pour un réveil écologique !
Découvrez le top des films sur l’environnement à voir à tout moment de l’année pour comprendre et appréhender les problèmes environnementaux de notre siècle de manière pédagogique, ludique ou avec humour…
"Don't Look Up" (film, 2021) : Comme quoi l’humour est parfois le meilleur moyen de faire passer des idées et d’ouvrir les yeux. Le climatologue américain Michael E. Mann, directeur du Earth System Science Center de l’université de Pennsylvanie, a inspiré l’un des personnages principaux du film, l’astronome joué par Leonardo DiCaprio.
Dark Waters (film, 2019), le film qui alertait sur les dangers des « Polluants éternels » (PFOA).

Podcast : Rencontre avec le journaliste au long cours, essayiste et romancier Nathaniel Rich et regard porté sur le monde dans lequel nous voulons vivre.
Les documentaires à voir :
"Demain" : documentaire sur les initiatives positives pour lutter contre la crise climatique, réalisé par Mélanie Laurent et Cyril Dion.
"Before the Flood" : documentaire sur les conséquences du réchauffement climatique et les solutions pour y remédier, co-produit par Fisher Stevens et Leonardo DiCaprio.
"Une suite qui dérange : le temps de l’action" : documentaire sur le combat de l'ex-vice-président des Etats-Unis, Al Gore, pour lutter contre l'inaction politique face à la crise environnementale, réalisé par Bonni Cohen et Jon Shenk.
"Animal" : documentaire sur l'extinction des espèces animales et les solutions pour lutter contre ce problème, réalisé par Cyril Dion. Il se veut pédagogique et destiné à sensibiliser les plus jeunes.
Pour sensibiliser les plus petits dès leur plus jeune âge, on peut s’aider de films d’animation qui évoquent ces sujets comme le film d’animation et de science-fiction Wall-E réalisé par Andrew Stanton. Ou alors Le Lorax, un dessin animé réalisé par Chris Renaud qui évoque les sujets de la déforestation et de la pollution de l’eau.


Où en est-on en matière d'écologie ? Tour d'horizon des origines de l'écologie.

Retour sur sa déjà longue histoire avec Florian Augagneur, philosophe des sciences, ancien conseiller scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme, vice-président de la CNDP
Lorsque l’économie a établi sa domination, la confrontation est sans issue : la conservation de la nature cause la destruction de l’économie et la conservation de l’économie implique inéluctablement la destruction de la nature. La condition du maintien de l’économie capitaliste est « de ne laisser intervenir ni durabilité, ni stabilité », ce maintien « n’est possible que si l’homme sacrifie son monde et son appartenance au monde. » Floran Augagneur
Mis en ligne sur Cairn.info le 21/03/2014 https://doi.org/10.3917/vdur.001.0055
Quels sont les intellectuels qui comptent pour nous aider à penser l’écologie aujourd’hui ?
Quels sont les intellectuels qui comptent dans les différentes sphères de réflexion de l’environnement, du climat et de la biodiversité ? Quelles nouvelles idées émergent, au-delà des chapelles, depuis l’ultra-gauche écolo jusqu’à la droite environnementaliste, en passant par les artistes et les théologiens ? Quels livres faudrait-il lire ?
Cartographie de la vie des idées en matière d’écologie, de climat et de biodiversité :


Leur écologie et la nôtre, quarante ans après. Par Razmig Keucheyan, sociologue.

Un débat autour de l'écologie.

Avec
- Bérénice Levet Philosophe et essayiste
- Alain Lipietz Économiste et homme politique, député européen de 1999 à 2009, membre du parti Europe Écologie Les Verts - EELV
Un débat qui montre que les oppositions sont avant tout culturelles et liées à des choix de société, plutôt qu'environnementales ou écologiques.
Penser ce qui nous arrive avec Hannah Arendt.
"Personne n'a su comme elle nommer, comprendre, élucider le cœur même du malaise des sociétés modernes occidentales : la perte d'un équilibre, de l'équilibre entre le besoin de stabilité, de durabilité, de continuité historique et la capacité d'introduire du nouveau, de produire des miracles c'est-à-dire de déjouer le cours, en apparence fatal, des choses. Un équilibre perdu, qui a tourné à la querelle, entre la tradition et l'invention, l'ordre et l'aventure. Nous avons tout sacrifié à l'idole du mouvement, de la marche en avant, de l'ouverture, indifférents au besoin de sol, d'ancrage, de frontières, d'institutions, d'objets solides et durables, et même conspuant ces attachements. Antinomie fatale et pour l'individu et pour la civilisation. L'un ne va pas sans l'autre, l'un est la condition de l'autre." Bérénice Levet - Penser ce qui nous arrive avec Hannah Arendt - Éditions de l'Observatoire
Bérénice Levet analyse les tendances de notre époque à travers la philosophie d’Hannah Arendt :
« Crise de l’autorité, crise de l’école et de l’éducation, crise du travail, exhortations morales en lieu et place de la conscience politique, guerre contre le passé, l’histoire, la langue, “un homme moderne qui a perdu le monde pour le moi” : ouvrez un livre d’Hannah Arendt et vous aurez le sentiment que l’encre y est à peine sèche.
Arendt jette les lumières les plus vives, les plus crues, les plus cruelles aussi, sur les maux qui nous assaillent. Mais notre philosophe fait mieux encore que nous éclairer : elle ne nous laisse pas sans ressources face à l’ensemble de ces crises. Elle nous dote d’une philosophie qui nous permet d’avancer d’un pas assuré en ce monde, de ne pas vaciller à tous les vents.
Alors, Hannah Arendt, un penseur pour notre temps ? Assurément. Mais nullement de notre temps. Et en aucune façon pour des lecteurs qui demanderaient à une œuvre de renchérir sur leurs certitudes, de prendre soin de leur confort moral et intellectuel. C’est toute la fécondité et la saveur de sa pensée que de venir inquiéter les évidences du présent, de désaccorder toutes les clochettes pavloviennes qui nous tiennent lieu de pensée.
J’ai moi-même, tôt, contracté cette dette à l’endroit d’Arendt. Fasse que celle-ci soit contagieuse et que le lecteur y puise à son tour de substantielles nourritures ! »
Pour Hannah Arendt une sagesse qui ne prend pas en compte notre réalité historique, loin de nous aider, ne peut que nous détruire. Et c’est exactement ce qui est en train de se passer.

"Plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur." Hannah Arendt