Décrocher la Lune
Le Traité de l'espace de 1967 a défini les ressources et les corps célestes de l'espace extra-atmosphérique comme des "biens communs de l'humanité", non-appropriables. Depuis les années 1970 jusqu'aux années 2010, les entrepreneurs états-uniens de l'économie de marché lunaire n'ont cessé de projeter une vision libérale, puis néolibérale, de la propriété de la Lune. Cette vision est en passe de s'imposer, alors que le retour sur la Lune paraît plausible dans la décennie 2020 qui s'ouvre. "Premier arrivé, premier servi" : peut-on considérer l'espace comme un nouveau Far West ?
En février 2016, lorsque le Luxembourg a annoncé son intention de mettre en place une législation pour établir un cadre juridique à l'exploitation des ressources sur d'autres corps du système solaire, sans enfreindre les traités actuels qui interdisent l'appropriation de territoires sur ceux-ci, le sujet lui-même semblait encore relever de la science-fiction.
Depuis lors, l'intérêt pour l'exploitation des ressources spatiales n'a cessé de croître, accompagné de développements technologiques et de discussions internationales en cours pour réglementer cette activité d’extraction des ressources extra-atmosphériques. Les questions soulevées sont sérieusement discutées et envisagées par les acteurs privés de l'industrie spatiale et elles nous conduisent finalement à observer que si la conquête spatiale a longtemps été menée à des fins de découvertes d’un horizon inconnu, l’investisseur a désormais pris la place de l’explorateur. (1)
Pour concrétiser l'exploitation des ressources naturelles sur la Lune, les astéroïdes, Mars ou ailleurs, quatre éléments sont nécessaires : la capacité de détecter et d'identifier ces ressources, la technologie nécessaire pour les extraire et éventuellement les traiter, un marché qui en aura besoin, ainsi qu'un cadre juridique. Tous ces éléments sont en train de se mettre en place, y compris le marché. (2)
En revanche, l'idée de rapatrier des métaux extraits des astéroïdes sur Terre semble illusoire en raison des coûts énergétiques exorbitants associés. Cependant, l'option de satelliser des astéroïdes autour de la Lune afin de constituer des réserves de matériaux précieux, en vue de leur exploitation lorsque ces mêmes ressources seront épuisées sur Terre, est déjà envisagée.
Loin du fantasme de ramener sur Terre des métaux précieux récoltés sur les astéroïdes, l'objectif de l'exploitation des ressources spatiales consiste à les utiliser sur place.
L'ISRU est l'acronyme anglais de "In-Situ Resource Utilisation". Il s'agit d'un concept visant à exploiter les ressources naturelles disponibles sur place pour répondre aux besoins des missions spatiales, plutôt que de transporter toutes les fournitures depuis la Terre. Grâce à l'ISRU, les missions spatiales peuvent gagner en autonomie et en durabilité, car elles ont la capacité d'utiliser les ressources locales pour produire de la nourriture, de l'eau, de l'oxygène, des matériaux de construction et d'autres fournitures essentielles. Cela peut entraîner une réduction significative des coûts et du poids des charges utiles nécessaires pour les missions spatiales, tout en minimisant les risques pour les astronautes. L'ISRU est particulièrement important pour les missions à long terme sur la Lune et Mars, où il y a des ressources telles que l'eau glacée, le régolithe (poussière de surface lunaire) et le CO2 atmosphérique que l'on peut exploiter.
Les astronautes d'Apollo ne pouvaient rester sur la Lune que quelques jours, en amenant toutes leurs ressources - eau, air, nourriture, ergols, sources d'énergie - de la Terre. Avec Artemis, il s'agira de s'installer durablement sur place, et donc d'utiliser les ressources locales. Une grande part des Accords Artemis, proposés par la NASA et déjà signés par plusieurs pays, porte sur la question des ressources. Sur le long terme, les accords Artemis devraient surtout faciliter l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles spatiales.
Artemis est un programme éminemment politique, très coûteux, ambitieux et complexe. Il s’agit d’accords bilatéraux entre États, et non entre agences spatiales. Des négociations bilatérales pourraient toutefois, comme ce fut le cas pour l’aviation civile internationale, constituer le socle à venir d’une entente multilatérale (1). Avec Artemis, les États-Unis et la NASA avancent leurs pions, développent des partenariats, des technologies et prévoient de déployer la technosphère jusqu'à la Lune : Station Gateway (hub et avant-poste) en orbite lunaire, colonies lunaires, Mars sera la prochaine étape et le théâtre de nouvelles rivalités.
Pour l'heure, dans les media, la NASA et son partenaire SpaceX occupent le devant de la scène spatiale, mais la Chine progresse rapidement.
La conquête de Mars commence en 2023 avec la première simulation de mission : en juin, la NASA lancera la première mission Crew Health and Performance Exploration Analog (CHAPEA), une simulation de 12 mois impliquant quatre chercheurs. Le but est de recueillir des données essentielles pour préparer les futures missions habitées sur la planète rouge. Les missions vers Mars représentent les voyages spatiaux les plus longs jamais entrepris par l'humanité, avec un aller-retour Terre-Mars nécessitant environ 21 mois. La simulation se déroulera dans un habitat conçu pour reproduire les conditions réelles d'une mission sur Mars, et l'équipe effectuera diverses activités simulées pour évaluer les performances cognitives et physiques des astronautes. Les données collectées aideront la NASA à mieux comprendre les impacts potentiels des missions de longue durée sur la santé et les performances de l'équipage, en vue de concevoir et de planifier avec succès des missions humaines sur Mars. Deux autres missions CHAPEA sont prévues début 2025 et début 2026 après celle-ci. (3)
L'intérêt de tout tester d'abord sur la Lune ? La possibilité d'envoyer des secours. Sur Mars, "si les choses se passent mal et se cassent, vous êtes à des années de la maison", explique à l'AFP Jonathan McDowell, du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics.
Les années 2030 ? "C'est possible (...) mais sans la volonté politique de l'administration et du Congrès, cela n'arrivera pas", souligne G. Scott Hubbard.
L'objectif du retour d'un astronaute sur la Lune pour 2024 souffrira "de délais", et comme un "effet domino", il y aura un retard pour Mars également, prévient Laura Forczyk, jugeant les années 2040 plus crédibles concernant la planète rouge. (4)
Le prochain pas de géant pour l’humanité : la Lune ou Mars ?
Joseph Silk, astrophysicien renommé, propose dans Back to the Moon: The Next Giant Leap for Humankind l'idée de colonies humaines sur la Lune. Il suggère que des villes entières pourraient être construites dans les tubes de lave lunaires, offrant une protection naturelle contre les radiations solaires et les météorites. Silk estime que les ressources lunaires, comme le régolithe et l'eau, seraient suffisantes pour fabriquer des matériaux de construction et du carburant. En plus de l'exploitation minière et du tourisme, il propose d'installer des télescopes sur la face cachée de la Lune pour étudier l'univers. Selon lui, la colonisation de Mars est encore lointaine.
Robert Zubrin, dans The New World on Mars, prône la colonisation de Mars plutôt que celle de la Lune, estimant que Mars, avec ses ressources en eau, carbone, azote, et minéraux, est mieux adaptée à la vie et pourrait être terraformée. Contrairement à la Lune, Mars pourrait soutenir une civilisation technologique. Zubrin est optimiste quant aux voyages vers Mars grâce à des avancées technologiques comme le Starship de SpaceX. Il voit le secteur privé jouer un rôle clé dans la colonisation martienne. Une course vers l’espace est en cours, notamment entre SpaceX et la Chine, avec des projets pour coloniser à la fois la Lune et Mars.
Quelle tournure prendra cette course ?
La mission Artémis 2 en 2025, qui enverra quatre astronautes autour de la Lune, trois Américains et un Canadien, puis la mission Artémis 3, qui enverra en 2026 des Américains et un Japonais se poser sur notre satellite, va renforcer l'intérêt. Surtout que la Chine annonce, elle, vouloir faire atterrir un équipage sur l'astre lunaire d'ici 2030. Les enjeux, à ce titre, tant géopolitiques, militaires, économiques qu'en termes d'images, seront colossaux. S’il s’avère que le succès des uns fait le malheur, voire la colère, des autres, alors peut-être pourrons-nous parler d’une nouvelle guerre des étoiles.
Un rapport passionnant - A télécharger - pour en savoir plus sur l'exploitation des ressources spatiales :
Sources :
(1) Questions d'actualité - Presses de l’Université Toulouse Capitole
(2) Exploitation des ressources dans l'espace : de la science-fiction à la réalité
Stefan Barensky, Aerospatium
21 Nov 2020, 18:20
url : article payant "La Tribune" :
(3) Crew Health and Performance Exploration Analog
(4) Exploration spatiale : après les robots, quand peut-on espérer voir des humains sur Mars ?
"D'ici la moitié à la fin des années 2030, nous commencerons peut-être à utiliser les moyens qui nous servent à aller sur la Lune pour envoyer des astronautes sur Mars", a déclaré jeudi Steve Jurczyk, administrateur de la Nasa par intérim.