Le Ministère du futur, de Kim Stanley Robinson
Le Ministère du Futur de Kim Stanley Robinson (2020) est un roman de près de 600 pages structuré en une centaine de chapitres qui mêlent fiction, récits secondaires et réflexions sur les enjeux climatiques. Raconté entièrement sous forme de témoignages directs de ses personnages, ce récit explique comment le changement climatique nous affectera tous dans les décennies à venir. L'histoire commence par la création d'une agence onusienne, le "Ministère du Futur", lors de la COP29 à Bogota. Cette agence est chargée de représenter les intérêts des générations à venir face aux crises écologiques.
En 2025, une canicule fait vingt millions de morts dans l'Uttar Pradesh, en Inde, et marque un tournant décisif. Ce désastre révèle la gravité de l'inaction climatique, mais la prise de conscience mondiale reste pourtant limitée. L'Inde, de son côté, prend des mesures radicales en accélérant sa transition énergétique et en incitant ses partenaires commerciaux à faire de même.
"Le nœud du problème du changement climatique est le système économique, car des solutions d'atténuation existent mais ne sont pas mises en œuvre tant qu'elles ne sont pas rentables. Pour que les évaluations de projet prennent davantage en compte les générations futures, l’Inde fait donc le choix de revoir son taux d’actualisation, en lui donnant une forme en cloche : le sommet correspondant au présent et le taux restant très bas pour au moins sept générations à venir. Mais la solution clé, qui permet à l’auteur de rendre plausible la fin optimiste, est l’implémentation de quantitative easing climatique par les banques centrales, suite à plusieurs décennies de négociation. Il s’agit de concevoir une crypto-monnaie de réserve soutenue par les principales banques centrales, et distribuée à toute organisation, personne ou État qui séquestre du carbone, incitant ainsi au financement de plans de transition coûteux. C’est grâce à cette innovation que les pays producteurs d’hydrocarbures acceptent de laisser inexploitées leurs richesses sans s’appauvrir. Kim Stanley Robinson s’inspire ici de l’idée exposée dans l’article scientifique « Hypothesis for a Risk Cost of Carbon: Revising the Externalities and Ethics of Climate Change, » co-écrit par Delton Chen. Le roman a d’ailleurs contribué à donner de la visibilité à cette option." (1)
Les solutions que cette agence propose et réussit à faire adopter "ne sont pas de la fiction, mais la réalité", juge Jean-Pierre Danthine, économiste et ancien membre de la direction de la BNS. "Ce sont les mesures que l'on connaît. Une taxe carbone qui est suffisamment généralisée, et des activités où l'on rémunère la non-émission de carbone, et celle dont on parle le plus et qui me paraît le plus justifiée : c'est empêcher des forêts primaires d'être détruites en Amazonie ou en Afrique." (2)
Les actions monétaires, financières, industrielles ou encore agricoles : tout est mis en œuvre dans le roman pour actionner les leviers de l'atténuation du réchauffement climatique, avec une réflexion profonde sur le rapport que l'humain entretient au vivant et à la nature. Dans ce récit, l'utopie est celle d'une humanité qui, malgré tout, parvient à éviter son autodestruction. Un dénouement auquel l'auteur veut croire pour notre avenir.
Plutôt que de plaider en faveur d'une rupture radicale avec le présent, Kim Stanley Robinson affirme qu'il est préférable « d'essayer d'imaginer une progression par étapes de ce que nous avons aujourd'hui vers un meilleur système ». Il ajoute que son travail consiste à construire un pont vers un avenir alternatif possible. Le cœur du roman, en tant qu’intervention politique, ne prône pas la violence mais une économie politique keynésienne, voire post-keynésienne et post-capitaliste, dans laquelle nous nous rémunérons davantage pour le travail de décarbonisation que pour n'importe quel autre travail. "J'ai le sentiment que les gens n'ont pas compris à quel point l'effondrement serait grave. Cela risque d'arriver si on n'agit pas rapidement. C'est ça que j'ai voulu écrire dès l'origine. Dire, 'Hé!', arrêtez avec cette illusion de l'adaptation, ce qu'il faut, c'est réduire les émissions et limiter la température," explique le Californien.
Homme de gauche, écologiste, auteur de science-fiction et intellectuel engagé, il considère que sortir de l'impasse est avant tout une question éthique. Remettre aux générations futures un monde "aussi bien que nous l'avons reçu est une forme d'obligation", selon le septuagénaire. (3)
Traduit par Claude Mamier et publié sous nos latitudes par les éditions Bragelonne le 25 octobre 2023, le livre de Robinson n'est pas ce qu'il paraît être. Et pour cause, puisque ce n'est pas un roman.
Explications… "On y parle économie, impôts, énergies et bien d'autres sujets qui devraient logiquement trouver leur place dans un essai et non dans un roman. On comprend rapidement que le principal objectif de Kim Stanley Robinson est d'expliquer par le menu en quoi le système capitaliste constitue la clé de voûte dans la solution au bouleversement climatique en cours et à venir. La réflexion, bien que volontairement partisane et assumée comme telle, est passionnante. Vraiment." (4)
"Je voulais montrer (...) que, même sans plan, on peut arriver à un résultat positif si on s'accroche à un État de droit." Kim Stanley Robinson