La croissance infinie
Parcours des enjeux écologiques #1/8 : Pour que la Terre reste un monde vivable pour les générations futures.
En contrepoint des thématiques de science-fiction, un parcours des enjeux écologiques est accessible en bas des pages du site. À travers ces 8 instantanés des actualités 2023/2024, nous souhaitions échapper à la fuite en avant qui caractérise nos sociétés modernes.
La biosphère englobe tous les écosystèmes de la planète et est caractérisée par la présence de la vie. Elle constitue l'ensemble des interactions entre tous les organismes vivants et leur environnement sur Terre.
Le techno-système résulte de l'activité humaine et de son désir de maîtriser et de transformer son environnement pour répondre à ses besoins. Dans le techno-système, les humains et les technologies se transforment mutuellement. Les innovations modifient les comportements, les capacités cognitives et physiques, et la structure sociale, tandis que les humains réadaptent constamment les technologies selon leurs besoins. Des exemples récents incluent l'intelligence artificielle, qui reconfigure la manière de travailler, ou les outils numériques, qui influencent la cognition humaine. Le techno-système, à travers l'industrialisation, les infrastructures de transport et de production d'énergie, contribue directement à l'augmentation des émissions de CO₂. Ces émissions sont aujourd'hui reconnues comme un des principaux moteurs du changement climatique.
La technosphère
La technosphère est un concept utilisé pour évaluer l'empreinte physique de l'humanité sur la planète. Elle représente l'ensemble des constructions technologiques (systèmes techniques) et des objets fabriqués par l'homme (artefact), ainsi que leur interaction avec l'environnement. Tous ces objets ont besoin de métaux (dont les fameuses "terres rares", qui chimiquement sont des métaux), et de chimie organique (isolants, plastiques, huiles, etc), issue du pétrole et du gaz.
La technosphère est une sphère artificielle qui s'est développée à partir de la biosphère. Elle n'a pas de limites physiques clairement définies et son existence est étroitement liée à celle de l'humanité. Son poids a été mesuré à environ 30 000 milliards de tonnes en 2020, à comparer avec le poids du vivant, estimé à 550 milliards de tonnes.
L'humanité n'a beau représenter que 0,01 % de la masse de tous les organismes vivants, aucune autre espèce n'exerce une influence aussi importante sur notre planète. Ce sont les zones urbaines qui représentent la plus grande part des modifications physiques de l'environnement : environ le tiers de la masse totale, soit un peu plus de 11 billions de tonnes. Les estimations calculées par les géologues tiennent également compte de l'ampleur des fonds marins chalutés, des terres épuisées et des sols érodés - autant de signes de l'impact considérable des activités humaines sur la planète bleue.
La technosphère a tendance à croître en raison de l'innovation technologique, de la croissance démographique, de l'urbanisation, des changements de mode de vie et du développement économique. C'est la seule "sphère" qui accumule des déchets. Elle n'a d'ailleurs pas le même statut que l'atmosphère, l'hydrosphère ou la lithosphère qui sont des systèmes naturels de la Terre ayant évolué sur des échelles de temps géologiques.
Selon le philosophe français Félix Guattari, la technosphère exerce une influence profonde sur la société et sur l'environnement. Elle façonne nos modes de vie, nos comportements, nos interactions sociales et notre relation avec la nature. La technosphère peut également engendrer des conséquences écologiques, économiques et politiques, tant positives que négatives.
« Aujourd'hui, si la technosphère poursuit son développement, ce n'est pas parce que l'humanité choisit et contrôle cette évolution, mais parce que de nouvelles innovations technologiques utiles font leur apparition. On assiste désormais à une co-évolution des systèmes humains et technologiques. » Jan Zalasiewicz
Elle fournit notamment les outils et les infrastructures nécessaires au développement du numérique, et plus récemment des intelligences artificielles.
« Ayons l'ambition de nous éduquer au numérique afin de comprendre qu'il se révèle plus complexe qu'on ne le croit lorsqu'on envoie un like entre deux smartphones. Ce dernier requiert des data centers, des réseaux énergétiques, des routes, des câbles et peut être même bientôt des satellites. »
La nécessité d’une gestion durable des métaux
Notre croissance est matériellement fondée sur les métaux, utilisés de manière intensive pour créer les infrastructures, les bâtiments et les objets de notre vie quotidienne. Or les stocks de métal extractible sur terre ne sont pas infinis.
« Le besoin en métaux va être multiplié par cinq d’ici à 2050. On va extraire autant de métaux dans les trente prochaines années que ce que l’humanité a extrait jusqu’à présent. C’est vertigineux. »
Le texte qui suit est à télécharger. C'est un résumé du livre « Quel futur pour les métaux ? », écrit par Benoit de Guillebon et Philippe Bihouix (EDP Sciences, 2010).
A l'issue d'une analyse approfondie et documentée, prenant en compte les enjeux techniques, économiques, sociaux et environnementaux de la raréfaction des métaux, les auteurs mettent à mal les mythes de l'abondance, de la croissance verte et d'une technologie forcément salvatrice.
« Il faut être bien conscient que, comme les ressources énergétiques fossiles, les ressources métalliques sont non renouvelables. Or, le développement économique des pays émergents a amené une croissance sans précédent de la demande. Un alignement de la Chine et de l’Inde sur les modes de vie européens conduirait à un nouveau doublement. »
« Face à ces enjeux, les acteurs politiques et économiques doivent prendre conscience de la nécessité d’une gestion durable des métaux. Il leur faudra communiquer sur cette problématique et préparer la société à une évolution vers une économie de ressources à moyen terme différente de notre économie de consommation et de profit court terme. »
Changer de modèle pour moins polluer
A l’image des énergies fossiles, les minerais les plus utilisés au monde sont tous surexploités. Un constat qui remet profondément en cause les perspectives d’une croissance verte fondée sur les nouvelles technologies.
Aurore Stéphant, ingénieure géologue minier, nous parle d'extraction minière et de la matérialité du numérique :
Dé-numérisation, dés-électrification… passer par la décroissance pour changer de modèle ?
« Et pourquoi pas ? Aujourd'hui, on n'ose pas parler de décroissance. Mais si la décroissance nous permettait de mieux vivre que nos grands-parents ? Ce n’est pas un gros mot. Selon moi, la décroissance, c’est simplement regarder en face la façon dont les générations précédentes ont vécu, avec une industrie agroalimentaire qui pollue, une industrie chimique qui pollue, une industrie minière qui pollue, des émissions de gaz à effet de serre, de l’air pollué, de l’eau polluée – et dire : « on veut vivre mieux que ça. ». S’il faut passer par la décroissance pour sortir de ce modèle, très bien ! » Aurore Stéphant
Des perspectives de croissance économiques divergentes
La crise écologique a indéniablement suscité un débat nourri opposant les partisans de la décroissance à ceux de la post-croissance et de la croissance verte. Cependant, d'autres camps s'affrontent également sur les actions à mener pour répondre à cette crise.
- pour les uns, la baisse du PIB est une condition nécessaire à la préservation de l'environnement, et doit donc être poursuivie comme un but en soi.
- d'autres - bien plus nombreux - considèrent que croissance économique et préservation de l'environnement sont compatibles, et doivent l'être.
Le texte suivant est à télécharger :
« Comme cela est suggéré par le Rapport Pisani-Ferry et Mahfouz, une hausse des prélèvements fiscaux pourrait être décidée, afin de financer les quelque 66 milliards d’€ annuels que requière la transition écologique... Or, seulement 8 milliards d’euros sont pour le moment budgétés. » En France, comme ailleurs, le financement de la transition écologique semble se heurter de plein front à la dure réalité du manque d'investisseurs, de l'inflation et du contexte de guerres.
La décroissance volontaire
La Décroissance : La décroissance est un mouvement prônant la réduction volontaire de la production et de la consommation économique dans le but de réduire l'empreinte écologique, diminuer les inégalités sociales, et favoriser un mode de vie plus équilibré et durable. Ses partisans estiment que la poursuite d'une croissance économique infinie dans un monde aux ressources limitées est insoutenable et destructrice pour la planète. Ils préconisent ainsi une réduction de la consommation de biens matériels, une transition vers des économies locales, et une réduction du temps de travail pour améliorer la qualité de vie.
Face au dépassement des limites planétaires et à la kyrielle des menaces qui s'amoncellent, le temps des rêves ambitieux et démesurés liés au progrès technologique n'est-il pas illusoire et sujet à un retournement de perspective ?
Le changement de perspective est troublant mais aussi libérateur : cela signifie que toute personne motivée et persévérante peut faire la différence - en tant qu'enseignant ou ingénieur, artiste ou investisseur, ou simplement en tant que citoyen engagé. L'avis de Philippe Bihouix, ingénieur, et de Timothée Parrique, économiste :
« La charge de la preuve est en train de changer de camp. L’utopie est aujourd’hui du côté de ceux qui pensent qu’une croissance infinie de la production est possible dans un monde où la capacité de charge des écosystèmes est finie. Nous avons plusieurs siècles d’histoire qui démontrent la dépendance biophysique de nos économies ».
« Entre produire plus et polluer moins, il va falloir choisir. Si une voiture fonce à pleine vitesse vers un mur, le premier réflexe est de freiner avant de comprendre ce qui nous a menés au risque d’accident. La situation est similaire : il faut d’abord freiner l’économie (produire et consommer moins) pour avoir un effet réel et rapide sur l’empreinte écologique. Il faudra aussi réformer le PIB et les autres indicateurs de performance économique afin d’éviter d’autres accidents dans le futur. »
« Aucun pays ne s’est jamais ouvertement lancé dans une politique de décroissance (les exemples à l’échelle des régions, des villes, et des entreprises sont aussi peu nombreux). Il va donc falloir étudier et expérimenter plusieurs scénarios de décroissance pour faire en sorte que la transition écologique se fasse démocratiquement dans le respect de la justice sociale et dans le souci du bien-être ».
"L’économie n’est pas une science “dure” mais comme la philosophie ou la sociologie, c’est une science “molle” avec plusieurs écoles. L’école qui défend l’ultra capitalisme est dominante, mais ce n’est qu’une des écoles. Il y a d’autres réalités évidemment. Une représentation de ces écoles minoritaires dans les débats favoriserait la richesse des échanges entre économistes." In : VLAN
Une transition vers la post-croissance pour reprendre le contrôle de nos systèmes économiques
La Post-Croissance : La post-croissance, souvent qualifiée de croissance décarbonée, est une perspective suggérant que les économies développées peuvent atteindre un stade de stabilité où la croissance économique ne constitue plus l'objectif principal. Au lieu de viser une expansion continue de la production de biens et de services, la société post-croissance se concentre sur le bien-être, la qualité de vie et la durabilité. Cela implique une meilleure répartition des ressources, une réorientation vers des objectifs non économiques tels que la santé, l'éducation et le bien-être social, ainsi que la reconnaissance des limites planétaires.
On écoutera avec intérêt l'avis de l'économiste Éloi Laurent qui nous parle de santé et d'économie du bien-être :
La ligne de crête pour une croissance durable serait étroite
La Croissance Durable : La croissance durable vise à concilier la croissance économique avec la protection de l'environnement et la prise en compte des aspects sociaux. Elle consiste à promouvoir des pratiques économiques qui ne portent pas atteinte à l'environnement et qui contribuent au bien-être de la société à long terme. Cela implique souvent la mise en place de politiques et de réglementations visant à encourager des activités économiques respectueuses de l'environnement, ainsi que des investissements dans des technologies et des infrastructures durables. La croissance verte joue un rôle central dans cette approche en contribuant à l'objectif global de maintenir un équilibre entre la croissance économique, la protection de l'environnement et le bien-être social à long terme.
Le livre "L'effondrement du monde n'aura probablement pas lieu" de Antoine Buéno examine les scénarios possibles d'une catastrophe écologique, tels que le réchauffement climatique, la raréfaction des ressources, la crise alimentaire et le stress hydrique. L'auteur se positionne entre les collapsologues, qui prédisent un effondrement inévitable, et les techno-optimistes, qui croient en la capacité de la technologie à résoudre ces problèmes.
Antoine Buéno rejette la décroissance comme solution pérenne, soulignant que la croissance économique a permis d'améliorer le niveau de vie de l'humanité. Selon lui, une décroissance volontaire n'est pas crédible sur le plan économique, car cela entraînerait une fuite des capitaux, l'autarcie et une catastrophe sociale.
« Un système en décroissance ne fait plus se rencontrer l'offre et la demande, il n'y a plus de marché. Et donc, il n'y a plus de système prix. Cela aboutit à une économie planifiée. C'est à dire, ce qui a été mis en œuvre après la révolution de 1917 dans le bloc de l'Est ». Antoine Bueno
Au lieu de cela, il propose de parier sur une croissance durable. Cependant, il souligne que le chemin vers une telle croissance est étroit et que l'humanité ne peut être certaine d'y parvenir, en particulier face à l'urgence climatique. [Résumé de l'article de L'Express - ChatGPT] - Pour l'article complet réservé aux abonnés :
Nous sommes face à une sérieuse crise de croissance de l'humanité. Mais dans quelques décennies, trois révolutions technologiques pourraient nous faire passer à l'étage supérieur : la fusion nucléaire, qui pourrait produire une quantité phénoménale d'énergie à partir d'une ressource première (le deutérium et le tritium) disponible sur Terre en quantité quasi illimitée et sans presque générer de déchet, la géo-ingénierie pour capter le carbone dans l'air, et enfin le space mining. Ces technologies pourraient signifier un nouvel âge d'or de notre espèce, avec une croissance infinie basée sur des ressources elles aussi infinies. En attendant, il va falloir tenir face au réchauffement climatique, c'est-à-dire effectuer la transition le plus rapidement possible."
« Le chiffon rouge de la dictature est au bout de la course si on ne mène pas la transition ». Antoine Bueno
[croissance, technologies, marchés] : c'est bientôt fini ?
L'Effondrement : L'effondrement désigne l'idée selon laquelle le réchauffement climatique et d'autres pressions environnementales pourraient entraîner la désagrégation de notre société. Certains experts et penseurs craignent que ces enjeux deviennent incontrôlables, provoquant des crises économiques, sociales et politiques de grande ampleur. Ils se basent sur des données du GIEC, de l'IPBES, de l'OMM et sur des études publiées dans des revues scientifiques telles que Nature et Science. Cette hypothèse alimente également des discussions sur les mesures à prendre pour éviter ou limiter un tel scénario.
Biodiversité en déclin, réchauffement climatique, pénurie de ressources : tous les indicateurs sont au rouge. Cela a donné naissance à un courant de pensée : la collapsologie. Pour les collapsologues, et en particulier Yves Cochet, notre civilisation industrielle se dirige droit vers la catastrophe. Les prochaines décennies seront marquées par une succession de crises mondiales sans précédent et une baisse significative de notre niveau de vie. Selon eux, la décroissance sera à la fois involontaire et inévitable. En fin de compte, l'effondrement entraînerait la destruction des structures matérielles de la société, notamment le système industriel productiviste et ses chaînes logistiques.
Ils sont de plus en plus nombreux, souvent alimentés par les nombreuses théories du complot, les collapsologues, ce sont ces personnes qui croient en la théorie de l'effondrement global et systémique de la civilisation industrielle, considéré comme inéluctable.
[+ de croissance, + de technologies, + de marchés] : non stop !
La Croissance Technosolutionnisme : Le technosolutionnisme est une approche qui favorise la résolution des problèmes par le biais de la technologie et de l'innovation. Les partisans de cette vision estiment que le progrès technique permettra de développer des technologies plus propres et plus efficaces, telles que les énergies renouvelables, le stockage d'énergie avancé, la capture et le stockage du carbone, etc. L'idée sous-jacente est que la croissance économique peut se poursuivre tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.
D'où ça sort le technosolutionnisme ?
Ce terme vient de L'Université de Stanford, au Sud de San Francisco dans la Silicon Valley, là où on forge les esprits à changer la face du monde. C'est de l'émulation de ces cerveaux qu'est venue l'idée que la technologie pourrait un jour sauver le monde.
La notion de solutionnisme technologique s’est imposée en 2014 dans le débat public, sous la plume du chercheur américain d’origine biélorusse Evgeny Morozov. Dans son ouvrage Pour tout résoudre, cliquez ici (FYP éditions, 2014), l’auteur met en lumière les impensés des projets prométhéens des entrepreneurs californiens du numérique qui ambitionnent de « réparer tous les problèmes de monde », selon les mots de l’ex-dirigeant de Google Eric Schmidt, en 2012. En plaçant l’individu au centre des enjeux, leur optimisme technologique piloté par les lois du marché conduit à occulter les causes sociales et politiques des problèmes, affirme Morozov.
Si l’expression est récente, les travaux d’une nouvelle génération d’historiens des sciences et techniques montrent que la fascination à l’égard de l’innovation technologique est bien antérieure à la création de l’Internet.
« Le technosolutionnisme est ancré dans une vision du monde portée par deux siècles de théorie économique selon laquelle le marché et l’innovation pourraient nous permettre de dépasser les limites environnementales », affirme l’historien François Jarrige, auteur d’On arrête (parfois) le progrès. Histoire et décroissance (L’Echappée, 2022).
« Croire que tout est perdu, ou croire que la technologie va nous sauver, ce sont deux solutions également commodes, qui l’une et l’autre nous dispensent d’agir. » Cédric Villani
« Il est plus facile d’envisager la fin du monde que la fin de la croissance. On a du mal à envisager la décroissance, car ce n’est pas un processus naturel dans notre modèle de pensée. » Timothée Parrique est économiste, auteur de Ralentir ou périr, l’économie de la décroissance (Seuil, 2022).