Business as usual

Pour que la Terre reste un monde vivable pour les générations futures. #3/8
Le piège du statu quo : les risques du 'Business as usual' face au réchauffement climatique.
On désigne par “business as usual” les scénarios futurs qui prolongent les tendances actuelles. Dans le contexte du réchauffement climatique c’est aussi un des pires scénarios.
Au niveau global, les signaux sont nombreux en 2023 : incendies sans précédent au Canada et en Grèce, surchauffe de la Sibérie en juin dernier et température record dans les océans depuis janvier, entre autres. Mais les catastrophes ne semblent toujours pas assez destructrices pour que les États du monde s'accordent et prennent des décisions majeures contraignantes. La crise de la biodiversité, le manque d'eau potable, les pandémies engendrées par la fonte des glaces, et probablement plus encore, les migrations climatiques qui mèneront à des conflits, seront peut-être les déclencheurs d'une action commune en faveur de la planète.
Révélation alarmante : des chercheurs estiment que si le réchauffement climatique atteint 2°c d’ici 2100, les industries gazière et pétrolière seront responsables des décès d’environ 1 milliard de personnes issues des communautés les plus vulnérables. Cela équivaudrait à des homicides involontaires par les populations les plus riches, contrôlant ces industries. En effet, malgré les avertissements concernant leur impact sur l’environnement, les émissions de CO2 liées aux combustibles fossiles ne cessent d’augmenter pour des raisons économiques et géopolitiques. In :

Le climat a subi un changement majeur à partir de juillet 2023, comme le montre une échelle des températures mise en ligne par Copernicus. In : Futura-sciences

Membre du CNRS, Pierre Friedlingstein estime que "le dépassement du seuil de 1,5°C est désormais inéluctable". Le chercheur Piers Forster, auteur principal de l'étude et qui travaille au sein de l'université de Leeds, affirme quant à lui que malgré son optimisme habituel, "si on regarde la publication de cette année, tout va dans la mauvaise direction".
Agnès Pannier-Runacher, ministre française de la Transition écologique (en fonction depuis le 23 décembre 2024), a réagi en assurant qu'il ne fallait "pas tomber dans la fatalité", ni dans le "c'est foutu". Pour elle, "chaque économie de carbone compte", d'autant que nous disposons de "solutions technologiques". La représentante du gouvernement a également critiqué les lobbies fossiles qui entravent la transition vers une économie bas-carbone.
L'étude inclut également de nouveaux indicateurs, comme la montée du niveau de la mer, qui a plus que doublé avec une hausse de 26 millimètres entre 2019 et 2024. Valérie Masson-Delmotte, climatologue, souligne que pour limiter cette montée, il sera nécessaire de "réduire les émissions de gaz à effet de serre le plus rapidement possible". La montée du niveau des océans, qui a atteint 22,8 centimètres depuis le début du siècle dernier, menace l'existence de certains États insulaires et renforce le pouvoir destructeur des tempêtes.
En 2100, selon les projections climatiques basées sur les politiques actuellement en place, 2,1 milliards de personnes seront confrontées à des températures extrêmes sur une population mondiale estimée à 9,5 milliards à la fin du siècle, soit environ 22% de la population mondiale. Les principales victimes seront localisées en Inde, avec plus de 600 millions de personnes touchées, au Nigeria (300 millions) et en Indonésie (100 millions). Viennent ensuite les Philippines, le Pakistan, le Soudan et le Niger. Certains pays, comme le Burkina Faso ou le Mali, verront presque l'intégralité de leur territoire se transformer en zone dangereuse pour les humains.
Ces projections sont établies sur la base d'une augmentation de la température mondiale de 2,7°C d'ici 2100 par rapport à l'ère pré-industrielle.

Avec le 6ème rapport d’évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), une nouvelle génération de scénarios climatiques permet de mieux appréhender les futurs possibles en termes de dérive climatique. Les scénarios dits SSP (Shared Socio-economic Pathways) viennent remplacer les scénarios dits RCP (Representative Concentration Pathways).


- Le scénario SSP2-4.5 est un scénario tendanciel « business as usual », où le niveau d'émissions correspond à celui des Contributions Déterminées au niveau National, et où le rythme d'émissions ne subit pas de variations brutales majeures : il peut donc être considéré comme probable.
En 2070, un tiers de l'humanité pourrait être en mouvement si le changement climatique n'est pas freiné, selon des scientifiques

https://www.weforum.org/agenda/2021/11/climate-change-rising-temperatures-may-force-humans-move/


"Les petites îles du Pacifique sont, par exemple, les plus touchées par la hausse du niveau marin. L’Asie du Sud-Est est majoritairement menacée par les inondations, tandis que les flux des populations du pourtour méditerranéen, d’Afrique de l’Ouest et d’Asie seront affectés par la sécheresse et les températures extrêmes. Les migrations liées à la baisse de productivité agricole vont plutôt toucher l’Amérique du Sud, Centrale et certaines parties de l’Afrique. Enfin, le facteur démographique est un déterminant important des flux migratoires et il va être prépondérant à l’avenir en Afrique.
Nous savons également que ce sont les ménages les plus aisés qui ont les ressources pour migrer. Les ménages les plus pauvres sont piégés sur place, et les études montrent que le changement climatique va entraîner une hausse des inégalités, de la pauvreté et de la mortalité pour ceux qui n’ont pas la possibilité de partir." Katrin Millock. In :

Une étude australienne évoque la fin de la civilisation en 2050 si rien n'est fait pour freiner le réchauffement de la Terre. Mais des climatologues soulignent qu'il s'agit du "scénario du pire" et qu'une autre issue reste possible.

Repenser nos critères de réussite et de bien-être.
Depuis la révolution industrielle, le progrès économique et la croissance du PIB ont été les principales mesures de réussite et de bien-être. États, entreprises et consommateurs ont été encouragés à privilégier la croissance et la consommation pour améliorer leurs conditions de vie. Pourtant, nous atteignons un point critique où les impacts environnementaux deviennent alarmants : réchauffement climatique, érosion de la biodiversité, pollution des écosystèmes et conséquences sur la santé humaine.
L’idée d’une croissance illimitée demeure profondément enracinée dans nos imaginaires économiques et culturels, alors même que les signaux d'alerte appellent à repenser nos trajectoires de développement. Toutefois, il existe un débat scientifique complexe sur la compatibilité entre croissance économique et limites planétaires. Si certains économistes plaident pour un "découplage" entre croissance du PIB et impacts environnementaux grâce aux innovations technologiques, d'autres études montrent que ce découplage reste largement insuffisant et que l'empreinte matérielle des pays développés continue d'augmenter au même rythme que leur PIB.
L'expansion du PIB ne rime pas nécessairement avec progrès social : elle peut creuser les inégalités et concentrer toujours davantage les richesses. Néanmoins, il convient de noter qu'il existe de fortes corrélations entre PIB par habitant et certaines mesures du bien-être, particulièrement dans les pays à faibles revenus. La relation devient plus complexe au-delà d'un certain seuil de richesse, où l'augmentation du niveau de vie ne se traduit plus automatiquement par un plus grand bien-être.
Il devient urgent de repenser nos critères de réussite en y intégrant des indicateurs plus globaux et plus justes, fondés sur le bien-être collectif, la santé des écosystèmes et la durabilité à long terme. De nombreuses initiatives émergent pour développer ces indicateurs alternatifs, mais leur mise en œuvre reste un défi majeur face aux résistances institutionnelles et culturelles. Seule une approche fondée sur l'équité et le respect des limites planétaires peut encore offrir les conditions d'un avenir viable, bien que les modalités concrètes de cette transition fassent encore l'objet de débats entre économistes et écologistes.
Grâce aux efforts combinés de 150 chercheurs issus de tous les continents, la World Inequality Database (WID.world) vient de mettre en ligne des données inédites sur la répartition des revenus dans les différents pays du monde. Que nous apprennent-elles sur l’état des inégalités mondiales ? - publié le 17 NOVEMBRE 2020 PAR PIKETTY

Les données de WID.world révèlent une persistance et une ampleur remarquables des inégalités mondiales depuis deux siècles. Le niveau des inégalités de revenus à l'échelle planétaire a toujours été très élevé, reflétant des disparités considérables entre pays et au sein des populations nationales.
Évolution historique des inégalités (1820-2020) : Les travaux menés par Lucas Chancel et Thomas Piketty montrent que les inégalités mondiales, bien qu'ayant fluctué selon les périodes, restent à des niveaux structurellement élevés. La base de données permet de retracer précisément l'évolution de ces disparités sur deux siècles, offrant une perspective historique inédite.
Méthodologie innovante : WID.world combine de manière systématique les comptes nationaux, les données d'enquêtes et les données fiscales, permettant une analyse plus complète et fiable que les approches traditionnelles basées uniquement sur les enquêtes ménages.
Au-delà des revenus : Les travaux récents du World Inequality Lab s'étendent désormais aux inégalités de patrimoine, aux disparités de genre à l'échelle mondiale, et aux inégalités en matière d'émissions de CO2, révélant des liens complexes entre inégalités sociales et enjeux environnementaux.
Ces données soulèvent des questions cruciales sur la soutenabilité du modèle économique actuel. Alors que le débat fait rage entre partisans du "découplage" (croissance économique sans impact environnemental proportionnel) et ceux qui questionnent cette possibilité, les inégalités persistantes compliquent les défis de la transition écologique, les populations les plus riches étant responsables d'une part disproportionnée des émissions carbone tout en étant moins vulnérables aux impacts climatiques.
Les inégalités sociales s'aggravent et exacerbent la crise climatique.
"Au lieu d'une prise de conscience, c'est une prise d'inconscience qui nous pousserait à agir, car la seule connaissance des travaux du GIEC ne modifie pas l’appareil technologique et son idéologie productiviste." Floran Augagneur
Des villes durables pour mettre fin à l’extrême pauvreté et promouvoir une prospérité partagée.
L'urbanisation a connu une croissance exponentielle, portant aujourd'hui le nombre total d'habitants dans les zones urbaines à environ 4,5 milliards. Les villes générant plus de 80 % du PIB mondial, l’urbanisation peut, si elle est maîtrisée, favoriser une croissance durable en intensifiant la productivité et l’innovation.

Limites planétaires : on dépasse les bornes !
En 1972, le rapport Meadows a prévenu de l'insoutenabilité environnementale de notre modèle de croissance, alertant sur les coûts en pollution et en épuisement des ressources.
Le concept des neuf limites planétaires a été développé par un groupe de scientifiques dirigé par Johan Rockström, un chercheur suédois en sciences environnementales. Cette notion a été présentée dans un article publié en 2009 dans la revue "Nature" sous le titre "A Safe Operating Space for Humanity" (Un espace de sécurité pour l'humanité). L'article a établi neuf limites planétaires, qui sont des seuils critiques pour divers processus environnementaux, et a averti que le dépassement de ces limites pourrait mettre en danger la stabilité de la planète et le bien-être de l'humanité.

Ces neuf limites planétaires incluent, entre autres, des éléments tels que le changement climatique, la biodiversité, le cycle de l'azote, le cycle du phosphore, l'acidification des océans, l'utilisation de l'eau douce, l'utilisation de la terre, l'ozone troposphérique et la pollution chimique. L'idée est de maintenir ces processus dans des plages d'opération sûres pour éviter des conséquences graves pour l'environnement et les sociétés humaines.

Podcast : Des limites planétaires aux limites région
Même dans les endroits les plus reculés de la planète, l'eau de pluie serait polluée par des produits chimiques jugés nocifs pour notre santé, si bien qu'elle serait dorénavant considérée comme "imbuvable".
"La persistance extrême et le cycle mondial continu de certains PFAS conduiront au dépassement continu des directives [de qualité de l'eau]" conçues pour protéger la santé humaine, explique ainsi le professeur Martin Scheringer, co-auteur de l'étude et professeur au Département des sciences des systèmes environnementaux de l’ETH Zurich. Alors que faire ? "Il faut définir à l'échelle mondiale une limite de concentration des PFAS. Mais, comme nous le concluons dans l'étude, cette limite a déjà été dépassée." *
*In : https://www.geo.fr/environnement/pourquoi-ne-faut-il-plus-boire-leau-de-pluie-211227
Communiqué de presse : Évaluation du Nexus IPBES - 16 décembre 2024.
Le dernier rapport de l'IPBES, surnommé le « GIEC de la biodiversité », alerte sur les liens étroits entre biodiversité, climat, alimentation, santé et eau. Il souligne que les crises actuelles – réchauffement climatique, insécurité alimentaire et hydrique, perte de biodiversité et risques sanitaires – sont interconnectées. Les approches isolées, loin d’être efficaces, peuvent aggraver ces problèmes.
Le rapport insiste sur les « moteurs indirects » de ces crises, tels que la surconsommation, la croissance démographique ou la gestion des déchets, qui aggravent les causes directes comme l'exploitation non durable ou la pollution. Face à cette complexité, des solutions globales sont préconisées, telles que l'agriculture durable, la réduction des déchets alimentaires, la restauration des écosystèmes et la promotion de régimes alimentaires équilibrés.
Les chercheurs proposent plus de 70 mesures concrètes pouvant simultanément répondre aux Objectifs de Développement Durable. Parmi elles, la conservation des écosystèmes riches en carbone ou la gestion communautaire des zones marines protégées, permettant de préserver la biodiversité, d'améliorer les revenus locaux et de limiter les impacts environnementaux. Le rapport conclut qu’une approche coordonnée et globale est essentielle pour éviter une catastrophe écologique et économique majeure.

Repérage :



« Le réchauffement climatique est une question de vie ou de mort pour un milliard de personnes. La transition énergétique devra donc beaucoup changer, beaucoup plus vite, à partir de maintenant », estime Joshua Pearce, chercheur à l’Université Western Ontario.
Pour une autre Terre - suite #4/8 :
