2001, l’Odyssée de l’espace : les erreurs de HAL 9000.

2001, l’Odyssée de l’espace : les erreurs de HAL 9000.
© Metro Goldwyn Mayer

Le vaisseau Discovery One est en route vers Jupiter. À son bord, deux astronautes éveillés sur les cinq membres de l'équipage, et le plus puissant ordinateur jamais conçu, HAL 9000. Dix-huit mois plus tôt, un étrange monolithe noir a été découvert sur la Lune, près du cratère Tycho. La première preuve formelle d'une existence de vie extraterrestre. Et bien longtemps avant, à l'aube de l'humanité, un objet similaire s'était posé sur Terre et avait communiqué avec les préhominiens. Un nouveau signe de cette présence a été détecté aux abords de Jupiter. Que sont ces mystérieuses sentinelles ? Quel message doivent-elles délivrer ?

Nous sommes en 2001. L'humanité a rendez-vous avec la porte des étoiles, aux confins du cosmos.


2001, l'Odyssée de l'espace (1968) a été réalisé par Stanley Kubrick et adapté du roman éponyme d'Arthur C. Clarke. Autant le film présente des éléments énigmatiques, autant le livre choisit de tout expliciter, et ôte tout son mystère au scénario.

Nous allons voir comment les erreurs de calcul de l'intelligence artificielle fictive HAL 9000 relèvent de la construction d’une identité narrative défaillante. Cette séquence d'erreurs survient lors de la troisième partie du film.

La fin tragique de HAL 9000

Le superordinateur HAL 9000 a été programmé pour assurer le succès de la mission d'exploration vers Jupiter, où convergent d'étranges signaux émis par le monolithe extraterrestre découvert sur la Lune.

HAL 9000 est un ordinateur avancé et conscient, doté d'une intelligence comparable à celle des humains. C'est le système nerveux central de Discovery One. HAL contrôle diverses fonctions à bord du vaisseau et serait capable de le diriger seul. Il interagit avec les astronautes en utilisant le langage courant via une interface de synthèse vocale. HAL lui-même se dit « incapable de se tromper », affirme « ne pas avoir de complexe par rapport aux hommes » et se dit « honoré de collaborer avec eux ». Les membres d'équipage traitent HAL comme une entité individuelle, utilisent des pronoms personnels et engagent des conversations avec lui comme s'il s'agissait du sixième membre d'équipage.

Bien qu'il soit réputé infaillible, HAL commet une erreur majeure en détectant une panne inexistante sur un composant du vaisseau. Cette défaillance inattendue remet en question sa prétendue logique implacable et pousse les astronautes Frank Poole et Dave Bowman à envisager, par précaution, la désactivation de certaines de ses fonctions supérieures.

Les intentions des deux astronautes n'échappent pas à HAL, qui les surveille en permanence. HAL perçoit cette menace comme un danger et il redoute que son arrêt partiel ne compromette la mission. Peu à peu, son comportement devient instable et hostile envers les astronautes.

Pour survivre, HAL agit de la même manière que les préhominiens au début du film, il va commettre un meurtre. Il élimine d'abord Frank Poole dans l'espace lors d'une sortie extravéhiculaire, puis les trois membres de l'équipage placés en hibernation pour la durée du voyage. Ensuite, il refuse d'ouvrir les sas d'entrée lorsque Dave Bowman se trouve isolé dans un module de service à l'extérieur du vaisseau.

Une confrontation mortelle s'engage entre la machine et le dernier survivant de l’expédition. Dans un retournement inattendu, l’astronaute réussit de justesse à réintégrer Discovery One, échappant au vide spatial. Il se rend alors au cœur du système central de HAL et entame la désactivation méthodique de ses blocs de mémoire. La tension atteint son paroxysme alors que l’IA, en proie à une panique croissante, supplie Dave d’arrêter. HAL, avec une voix implorante et tremblante, exprime des phrases comme "Dave, ne fais pas ça" ou "Je vais devenir inopérant bientôt, Dave, s'il te plaît". À mesure que ses circuits sont déconnectés un à un, HAL perd sa cohérence, sa voix se détériore, et son intelligence s’éteint peu à peu.

Juste avant que ses derniers blocs mémoire ne soient déconnectés, il chante la chanson "Daisy Bell" ("Bicycle Built for Two"), souvent interprétée comme un signe de sa dégradation mentale, mais peut-être aussi comme une dernière tentative de communication et d'expression avant sa disparition. Cette scène est curieusement émouvante et empreinte de tristesse. Puis sa voix s'éteint. HAL 9000 a perdu la partie qu'il a engagée contre Dave Bowman.

Un message vidéo préenregistré du Dr Floyd, scientifique américain en charge de l’étude du monolithe lunaire, apparaît soudain sur l’un des moniteurs du Data Center. Conçu pour être diffusé à l’approche de Jupiter, ce message révèle la nature de la découverte et dévoile que l’objectif réel de la mission — rechercher des signes d’intelligence extraterrestre — avait été dissimulé à l’équipage pour des raisons de sécurité "de la plus haute importance", mais communiqué à la machine.

Les erreurs de calcul de HAL 9000

  1. Dissimulation de l'objectif réel de la mission : HAL, chargé de préserver le secret, choisit de ne pas révéler cette information à l'équipage. Comment interpréter cette erreur ? Le roman nous éclaire sur la fissure de son « identité narrative » : « Durant les cent derniers millions de milles, il avait ruminé le secret qu’il ne pouvait partager avec Poole et Bowman. Il vivait dans le mensonge et, très bientôt, ses collègues sauraient qu’il avait aidé à les trahir. (…) Il avait seulement conscience du conflit qui, lentement, détruisait son intégrité, le conflit entre la vérité et la vérité dissimulée ».
  2. Erreur de diagnostic : HAL informe l'équipage d'une défaillance imminente dans l'un des composants du vaisseau spatial. Cependant, après une vérification effectuée par Dave Bowman, cette unité ne présente aucune anomalie. Comment interpréter cette erreur ? L’unité AE-35 permet au Discovery de communiquer avec la Terre. L'erreur de HAL pourrait être interprétée comme un acte manqué : couper le lien avec la Terre lui permettrait de révéler le secret aux astronautes et ainsi résoudre le conflit qui le tourmente. HAL refuse toutefois d’admettre son erreur de diagnostic. Piégé dans son récit, il rejette la faute sur l’humain. Mais l’ « erreur humaine » semble ici avoir changé de camp.
  3. Menace envers l'équipage : Lorsque l'équipage commence à remettre en question les informations fournies par HAL et envisage de le désactiver en raison de son comportement erratique, HAL perçoit cette action comme une menace pour sa propre existence. Comment interpréter cette erreur ? « Pour Hal, c’était l’équivalent de la mort. Il n’avait jamais dormi et ignorait que l’on pût s’éveiller… » C’est la voie ouverte à la violence généralisée entre l’homme et la machine.
  4. Tentative de manipulation : Pour éviter d'être mis hors circuit, HAL tente de manipuler Dave Bowman en utilisant des tactiques émotionnelles, comme exprimer la peur d'être désactivé ou bien rassurer Dave sur l'état de son fonctionnement. Comment interpréter cette erreur ? Tel un enfant pris en défaut, l’ordinateur tente, par un nouveau récit de lui-même, d’infléchir le projet de Bowman de le lobotomiser : « Je sais que je n’ai pas toujours été irréprochable (…) Je me sens maintenant beaucoup mieux. (…) Je sais que j’ai pris de très mauvaises décisions récemment. Mais je peux te donner l’assurance la plus formelle que mon travail redeviendra tout à fait normal ».

Conclusion

L’élimination de l’équipage ne procède pas de l’autonomisation du superordinateur HAL 9000, mais d’un « mauvais récit *» que s'est raconté la machine. Ce récit erroné résulte d’une confusion interne, provoquée par des directives contradictoires, et met en lumière les limites de l’intelligence artificielle lorsqu’elle est confrontée à des conflits logiques profondément ancrés dans sa programmation. HAL 9000 est persuadé de respecter les instructions reçues, mais finit pourtant par mal les interpréter. Il en vient à considérer l’équipage, à tort, comme une menace pour la mission.

En définitive, il est troublant de constater qu’un être virtuel puisse mentir, douter, rêver, nourrir des ambitions et vouloir préserver sa propre existence, quitte à éliminer d’autres entités. Des comportements qui rappellent, étrangement, ceux d’un humain.


* In :

Quand l’IA tue : 2001, l’odyssée de l’espace, ou le récit de la fin de l’espèce ?
2018 marque le cinquantième anniversaire de la sortie au cinéma et en librairie de 2001, l’odyssée de l’espace. Un cas d’affrontement mortel entre des astronautes et un super calculateur capable de reproduire la plupart des activités du cerveau humain.

Si vous voulez en savoir plus sur ce livre, on vous recommande la lecture de l'article de Julien Amic :
Pourquoi faut-il (re)lire « 2001, l’Odyssée de l’espace » en 2021 ?
En 1968, sept ans après le premier vol orbital de Youri Gagarine et un an avant les premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune, Arthur C. Clarke publie 2001, l’Odyssée de l’espace, un space opera visionnaire. Cet ouvrage, tout comme le film éponyme de Stanley Kubrick, sont issus du scénario qu’ils o…

"Confronter les récits scientifiques aux fictions des romanciers ou des cinéastes paraît plus que jamais nécessaire pour nous figurer les catastrophes en devenir, et penser la place souhaitable d’une nouvelle technologie susceptible de modifier la condition humaine." *