Les Monades urbaines, de Robert Silverberg
Les Monades urbaines, roman de science-fiction de Robert Silverberg (1971), se déroule sur Terre en 2381, où vivent 75 milliards d'individus, avec pour devise "Croissez et multipliez".
Le roman décrit une société radicalement différente de la nôtre, où les gens s’entassent dans d'immenses tours de 1000 étages, les 'Monades'. Chaque tour abrite près de 800 000 personnes, organisées en quartiers régis par trois préceptes : la foi en Dieu, la multiplication des enfants comme un don divin, et la liberté sexuelle pour prévenir les frustrations dangereuses. Refuser un rapport sexuel est passible de condamnation, souvent une chute du millième étage.
Liberté sexuelle, abondance alimentaire, vie sociale garantie, abolition des tabous : les Monades urbaines apparaissent d'abord comme des paradis terrestres. Cependant, peu à peu, des failles apparaissent dans le système. Certains personnages ne semblent pas aussi heureux qu’attendu. Progressivement, la vérité se dévoile : ce monde des Monades n'est-il pas une nouvelle forme de dictature ?
Une monade où le nomade n'est plus...
Les quartiers, blocs d'étages, prennent le nom d'anciennes villes selon leur prestige d'autrefois : Reykjavík au niveau inférieur, Rome au niveau moyen, Chicago aux deux tiers, et Louisville et Paris aux niveaux supérieurs.
« Plus nous montons dans la tour, plus le statut social est élevé. Les travailleurs manuels occupant ainsi les étages inférieurs tandis que les administrateurs et intellectuels vivent dans les hauteurs de la tour. Absolument tout est présent dans chaque bloc pour la vie en société, écoles, hôpitaux, nourriture, centres de culte, si bien que les habitants, parqués verticalement, ne sortent pas, et n'ont pas le droit de sortir. Ils n'y pensent pas d'ailleurs, conditionnés à ce mode de vie où le bonheur semble déborder de toute part. Autosuffisance contrôlée, une monade tue le concept de monadisme. Et la mission de toute personne, dès l'âge de 10 ans, la puberté étant très précoce en 2381, est de procréer, sans relâche… » (1)
800 000 habitants – plus une centaine de naissances chaque jour
La servitude volontaire à tous les étages
« Robert Silverberg a réussi à présenter un récit montrant les dérives possibles d’une utopie initiale devenue un système inhumain. Les conséquences des projets utopiques sur la population sont d’ailleurs bien souvent inverses à celles escomptées (Moylan, 2000). L’utopie sociale se transforme en effet en dystopie, comme le montre le sort des anomos (étymologiquement, les hors-la-loi), éliminés ou reconditionnés pour éviter qu’ils nuisent à l’organisation verticale. Si les fondements philosophiques initiaux semblent attractifs, ils impliquent cependant une adaptation de la nature humaine à des conditions de vie difficilement envisageables (...) par le lecteur du XXIe siècle. Silverberg touche cependant un point de philosophie politique intéressant. Selon La Boétie, les humains tendent à accepter et justifier les systèmes autoritaires, les condamnant à ce qu’il nomme la « servitude volontaire ». Les idéologues de la ville verticale font tout pour éviter la contestation, et les habitants des monades ne se plaignent que très rarement, affirmant presque tous apprécier leurs conditions de vie. » (2)
Le concept de jalousie, tout comme celui d'intimité ou de tabous, a disparu
« Le traitement des femmes, respectées comme porteuses de vie, honorées lorsqu'elles sont enceintes, mais rejetées en cas de stérilité ou de frigidité, m'a horrifiée. Sous couvert de liberté sexuelle, de partenaires multiples, cette société illustre en réalité l’ultime réification de la femme en tant qu'objet pour assouvir ses besoins à tout moment, pour plaire et procréer. Gare aux premières rides… D'ailleurs, mis à part quelques dirigeants perchés tout en haut de la tour, il n'y a aucune personne âgée dans ce livre de sorte que nous nous demandons ce qu'elles sont devenues… » (1)
Les sauvages d'en bas
Une famine mondiale est à l'origine de la verticalisation des habitats. Cette organisation spatiale a permis de libérer une grande partie des terres et d'augmenter les ressources disponibles. Cependant, seuls quelques agriculteurs, aux mœurs que l'on qualifie de barbares, travaillent ces terres que l'on pousse à leur productivité maximale. Le travail agricole est donc délégué à ces 'sauvages'.
Avec la montée des eaux et la disparition des anciennes cités, il ne reste plus d'animaux ni de nature sauvage, seulement d'immenses plantations. Ces plantations doivent constamment s'étendre pour nourrir la population croissante des monades : jusqu'à quand ? Tôt ou tard, même si l'on repousse l'échéance, il y aura trop de bouches à nourrir. Les monades ne seront plus correctement approvisionnées, et l'utopie se transformera en cauchemar...
« Nous avons là un bon exemple d’œuvre de SF qui travaille sur un futur lointain où l’on n’a plus d’espaces pour habiter et imagine des scénarios catastrophiques. Au final, on constate que peu d’œuvres sont réellement optimistes et prennent « le meilleur de l’agriculture » avec les savoir-faire paysans et la technologie ! » remarque Antoine Rochard de la Fondation GoodPlanet (3)
Sources :
(1) In : HordeDuContrevent - https://www.babelio.com/livres/Silverberg-Les-Monades-urbaines/6912#! - HordeDuContrevent
(2) In : Thomas Michaud, « Les monades urbaines, entre utopie et dystopie de la ville verticale », Géographie et cultures [En ligne], 102 | 2017, mis en ligne le 28 septembre 2018, consulté le 01 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/gc/5375 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.5375
(3) In : Quand la science-fiction interroge notre rapport à l’agriculture : de l’exercice de prospective… au questionnement de nos modes de production et de consommation actuels - https://www.renaissancenumerique.org/publications/quand-la-science-fiction-interroge-notre-rapport-a-lagriculture